Jusqu'à présent indifférente à la politique, la nouvelle classe moyenne russe, formée essentiellement depuis l'accession au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000, est aujourd'hui le terreau du mouvement de contestation et entend avoir son mot à dire.

Il y a encore quelques mois, Konstantin Charets, directeur de société à Moscou, ne s'intéressait pas à la politique.

Mais, exaspéré en particulier par la corruption généralisée à laquelle se heurtent les entrepreneurs en Russie, il n'a pas supporté de voir à nouveau les législatives remportées en décembre par l'omniprésent parti Russie unie, avec près de 50% des voix.

La multitude de fraudes dénoncées lors de ces élections l'a scandalisé et poussé à rejoindre les rangs des protestataires anti-Poutine.

«Il est important que les gens sortent nombreux dans la rue pour montrer aux autorités et au reste du monde qu'une proportion importante de la population russe exige des changements et veut être écoutée», explique ce père de famille de 39 ans.

«Nous voulons qu'il y ait moins de corruption dans ce pays», poursuit-il, soulignant que la quantité d'obstacles posés par des fonctionnaires corrompus sur le chemin des entrepreneurs était aujourd'hui «inconcevable».

Comme Konstantin, des dizaines de milliers de Russes ont rejoint la contestation après les législatives et sont descendus dans la rue, à Moscou, Saint-Pétersbourg et dans d'autres villes du pays, pour faire entendre leur voix à l'approche de l'élection présidentielle du 4 mars.

Un phénomène qui a pris de court les autorités par le profil nouveau de la contestation, observe Natalia Tikhonova, sociologue à l'Académie russe des Sciences.

Si auparavant, les revendications étaient plutôt le fait de la classe ouvrière, «aujourd'hui c'est la classe moyenne qui s'exprime», celle des cols blancs, des représentants de petites et moyennes entreprises, employés de bureau, professeurs ou encore médecins, souligne-t-elle.

Ces Russes qui manifestent «considèrent qu'ils ne dépendent pas du pouvoir, ils ne lui demandent rien», soulignait lundi Boris Doubine, expert de l'institut de sondage Levada, proche de l'opposition, dans le périodique Novaïa Gazeta.

Ce qu'ils veulent, «c'est qu'on ne les gêne pas, que la loi soit respectée et que ce qu'ils ont réussi à bâtir soit protégé», a-t-il ajouté.

La tendance est inquiétante pour le pouvoir, car la classe moyenne représente désormais «entre 33 et 35% de la société russe», d'après Mme Tikhonova.

Paradoxalement, elle s'est développée essentiellement «pendant l'époque de Poutine», et en partie grâce à sa politique, relève la sociologue.

Embryonnaire dans les années 1990, cette nouvelle classe moyenne s'est nettement renforcée ensuite grâce à la croissance économique qu'a connu le pays avec l'envolée des cours du brut lors des deux premiers mandats présidentiels de Vladimir Poutine (2000-2008) et la progression des revenus, explique-t-elle.

Mais la crise économique, qui a touché de plein fouet le pays en 2009, et a mis en évidence l'extrême dépendance de son économie aux revenus des hydrocarbures, a brusquement bouché l'horizon de cette catégorie de la population.

Baisse des revenus, faible mobilité sociale, absence de perspectives pour les enfants, omniprésence de la corruption ont alors peu à peu généré mécontentement et frustration.

«Nous avons cessé d'être un pays industriel développé, nous ne sommes maintenant plus qu'un réservoir de matières premières,» déplore Mikhaïl Galkine, un ingénieur de 27 ans qui a participé à une des manifestations contre le régime en décembre à Moscou.