Depuis les élections du 28 novembre, la Côte d'Ivoire, autrefois enfant modèle de l'Afrique, traverse une importante crise politique qui a déjà fait au moins 173 morts. Une mission diplomatique ouest-africaine tentera aujourd'hui de dénouer l'impasse en demandant au président sortant, Laurent Gbagbo, de céder sa place. Survol des enjeux de cette négociation de la dernière chance.

Q: En quoi consiste cette mission?

R: Trois présidents ouest-africains, Boni Yayi (Bénin), Ernest Koruma (Sierra Leone) et Pedro Pieres (Cap-Vert), arriveront aujourd'hui à Abidjan pour rencontrer le président sortant, Laurent Gbagbo, avec qui ils entretiennent tous les trois de bonnes relations. Au nom de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), ils doivent demander à l'homme fort d'Abidjan, en place depuis 2000, de céder la présidence à Alassane Ouattara, vainqueur des élections du 28 novembre selon les Nations unies et la communauté internationale.

Q: Advenant un refus de M. Gbagbo, quelles seront les conséquences?

R: Les émissaires de la CEDEAO ont la responsabilité de dire au président sortant que s'il refuse d'obtempérer, une intervention militaire régionale pourrait être déployée pour le renverser par la force. Selon toute vraisemblance, le Kenya serait chargé d'organiser une intervention armée, avec l'appui du Nigeria, qui dispose de la plus grande armée dans la région.

Q: Quelle est la position de Gbagbo sur la visite diplomatique?

R: Selon le journal ivoirien Nord-Sud, la visite diplomatique fera «chou blanc». Même si Laurent Gbagbo dit «prendre au sérieux» l'avertissement de la CEDEAO, il a déjà fait la sourde oreille aux demandes des Nations unies, des États-Unis, de l'Europe et de l'Union africaine. Accusant l'ONU de soutenir son rival, il demande aussi le retrait des 9000 troupes de l'ONUCI, mission de maintien de la paix des Nations unies.De leur côté, ses partisans ont déjà mis en garde les dirigeants ouest-africains contre toute intervention armée, menaçant de s'en prendre aux millions de réfugiés ouest-africains qui vivent en Côte d'Ivoire. «Tous les pays d'Afrique de l'Ouest ont des ressortissants en Côte d'Ivoire, ils savent que s'ils s'attaquent à la Côte d'Ivoire de l'extérieur, cela se transformera en guerre civile à l'intérieur», a dit l'un des porte-parole du gouvernement mis en place par Laurent Gbagbo. Une manifestation des partisans de Laurent Gbagbo, les «jeunes patriotes», est déjà prévue demain pour protester contre la position de la CEDEAO.

Q: De son côté, quelle est la position d'Alassane Ouattara?

R: Le clan Ouattara, aussi établi à Abidjan, a dit hier être convaincu que les chefs ouest-africains ne faisaient pas des menaces en l'air et étaient prêts à l'appuyer militairement. En soutien à la mission diplomatique d'aujourd'hui, l'homme que les Nations unies ont déclaré vainqueur des élections a demandé à ses partisans d'observer une grève générale hier. Respecté avec minutie dans le nord du pays, son appel a eu un retentissement limité dans la capitale. Les partisans d'Ouattara ont aussi réussi un coup d'éclat hier en s'emparant pendant de longues heures de l'ambassade de la Côte d'Ivoire à Paris, toujours tenue par un proche de Gbagbo, malgré les protestations de la France.

Q: Quel est l'impact de la crise actuelle sur la population civile?

R: Les Nations unies ont maintes fois fait entendre leurs inquiétudes pour la population civile, qui a déjà connu un raz de marée de violence en 2002 et 2003. Selon des enquêteurs de l'organisation internationale, au moins 173 personnes ont été tuées depuis le 28 novembre et des dizaines d'autres auraient disparu. Ce bilan est partiel, dit l'ONU, car les autorités ivoiriennes en place ont restreint l'accès à des endroits qui pourraient dissimuler des charniers. Alors qu'ils s'attendent à de nouvelles violences, des milliers d'Ivoiriens prennent le chemin de l'exil. Au moins 14 000 d'entre eux seraient arrivés au Libéria au cours des dernières semaines.

Avec l'AFP, l'AP et le Christian Science Monitor