En Californie, un homme s'est vu contraint, à sa sortie de prison, de déplacer toutes les deux heures la roulotte qui lui servait de domicile, pour éviter d'enfreindre les restrictions résidentielles en vigueur. Son crime originel : avoir montré ses fesses à sa belle-soeur lors d'une vive discussion.

Dans l'Iowa, 26 délinquants sexuels ont dû s'installer dans un hôtel situé en périphérie de la ville de Cedar Rapids, faute de pouvoir se trouver un logement assez éloigné des lieux fréquentés par des enfants. L'un des anciens prisonniers était si inquiet de violer ses conditions de probation à sa sortie de prison qu'il s'est d'abord présenté au bureau du shérif pour y passer la nuit.

Plus d'une vingtaine d'États américains ont adopté à ce jour des lois restreignant les endroits où peuvent vivre, travailler ou marcher les délinquants sexuels à leur retour en société.

Roger Lancaster, anthropologue rattaché à la George Mason University, en Virginie, note que ce n'est que l'un des aspects du dispositif répressif de grande envergure mis en place au cours des dernières décennies aux États-Unis pour lutter contre les crimes sexuels.

En 2005 seulement, 44 États américains ont adopté pas moins de 150 lois à ce sujet. Des dizaines d'autres ont suivi. L'âge du consentement sexuel a été rehaussé à plusieurs endroits de 16 à 18 ans et de nouveaux délits ont été identifiés, faisant exploser le nombre de mises en accusation et de condamnations.

Un système «inefficace»

M. Lancaster, auteur de Sex Panic and the Punitive State, note que nombre des mesures ciblant les délinquants sexuels - incluant l'obligation de figurer dans des registres publics, souvent à vie - n'ont pas d'efficacité reconnue pour freiner la récidive.

Le système en place, juge-t-il, impose des peines « disproportionnées » et « inefficaces » qui ont d'abord et avant tout pour but d'exprimer « le sentiment public de dégoût et de colère » à leur encontre. « C'est l'émotion qui gouverne », souligne le chercheur.

La population américaine, affirme M. Lancaster, traverse régulièrement des périodes de « panique sexuelle » durant lesquelles un cas de violence sexuelle horrible est mis de l'avant par les médias, dénoncé par les associations de défense des victimes et répercuté sur le plan politique par des élus populistes qui réagissent en formulant de nouvelles lois.

Selon lui, ces cas graves sont généralement peu significatifs statistiquement, mais ils cristallisent les peurs et servent de base à des restrictions qui touchent souvent des délinquants ayant des profils bien moins préoccupants.

« Les législateurs avancent souvent l'idée qu'un délinquant qui commet un crime sexuel de moindre gravité va ensuite commettre des crimes plus graves », souligne-t-il.

Le traitement des délinquants sexuels reflète, selon M. Lancaster, une tendance plus large dans la société américaine. Le principe de pardon et de réhabilitation qui était encore au coeur du système judiciaire au début des années 70 a été évacué pour faire place à une approche « punitive » largement axée sur la défense des victimes.

Cette approche explique pourquoi les États-Unis ont un taux d'incarcération de cinq à dix fois plus élevé que celui des autres pays développés. Et pourquoi le pays, qui compte 5 % de la population mondiale, compte près de 25 % des prisonniers de la planète.

Bien que la peur demeure un moteur important de la société américaine, certaines évolutions récentes permettent de penser qu'on assiste à un modeste retour de balancier sur le plan judiciaire, note M. Lancaster.

Des mesures ont notamment été prises pour alléger les peines liées à la consommation et au trafic de drogue, mais rien de tel ne s'est encore produit relativement aux crimes sexuels.

« Une fois que les lois sont en place, elles sont difficiles à enlever... Aucun législateur ne veut sembler clément avec les délinquants sexuels », conclut M. Lancaster.