Le Canada s'engage sur une pente glissante en envisageant de créer une banque de données publique sur les délinquants sexuels qui rappelle les registres controversés en place aux États-Unis.

C'est du moins l'opinion de Sandy Rozek, qui dirige une organisation américaine militant pour l'assouplissement des lois régissant la vie de ces délinquants à leur sortie de prison.

«Est-ce que le gouvernement canadien a bien étudié le sujet? S'il le faisait, il verrait que la voie qu'il s'apprête à emprunter est tout simplement désastreuse», prévient Mme Rozek.

L'annonce de la création prochaine d'une banque de données publique a été faite par le ministre de la Justice, Peter MacKay, en février. Il livrait alors les grandes orientations d'un projet de loi, toujours à l'étude aux Communes, qui vise à assurer une «meilleure protection des enfants».

«Nous nous assurerons que le système judiciaire est plus réactif et plus efficace pour les membres les plus vulnérables de notre société», a-t-il affirmé.

Le projet de loi en question précise que la banque de données pourra servir à diffuser des informations sur des personnes «déclarées coupables d'infractions sexuelles visant les enfants» qui présentent un «haut risque» de récidive.

Les forces de l'ordre disposent déjà d'un registre de ce type qui n'est pas accessible à la population.

Seules les informations «préalablement rendues publiques par un service de police ou toute autre autorité publique» pourront être reprises dans la banque de données fédérale. Elle pourrait contenir le nom, la date de naissance de la personne ciblée, sa photo ainsi que le nom de la municipalité où elle est établie, mais pas son adresse précise, contrairement à ce qui se fait aux États-Unis.

Le projet de loi ne précise pas quels critères seront utilisés pour déterminer quel délinquant présente un «haut risque» de récidive.

L'initiative inquiète Josée Rioux, directrice générale du Regroupement des intervenants en matière d'agression sexuelle (RIMAS), qui réunit plusieurs organismes communautaires travaillant au Québec à la réintégration des délinquants sexuels.

«Le projet d'Ottawa ouvre la porte à l'établissement d'un registre à grande échelle», s'inquiète Mme Rioux.

Elle estime que la constitution d'une banque de données publique, si elle se confirme, va stigmatiser les délinquants sexuels identifiés et les isoler. Les membres de leurs familles risquent aussi d'être montrés du doigt.

Mme Rozek note que le caractère public des registres de délinquants sexuels mis en place aux États-Unis favorise paradoxalement les risques de récidive.

«Un nombre important de personnes fichées se retrouvent dans des situations extrêmes. Elles ne peuvent trouver un logement, elles ne peuvent trouver un emploi. Ce n'est pas ça qui va créer une société plus sécuritaire», souligne-t-elle.

La diffusion publique de l'adresse des délinquants peut avoir des effets encore plus pervers, ajoute l'activiste, qui relève plusieurs cas où des justiciers autoproclamés sont passés à l'action en utilisant les informations disponibles.

En 2006, un homme de Nouvelle-Écosse a tué dans le Maine deux délinquants sexuels fichés. Il avait trouvé leur adresse dans le registre de l'État. L'un des hommes tués, William Elliott, avait été condamné quatre ans plus tôt pour avoir eu une relation sexuelle avec sa conjointe quelques jours avant qu'elle n'atteigne l'âge de 16 ans.

Sandy Rozek pense que les registres de délinquants sexuels devraient être réservés à l'usage des policiers. Comme c'est traditionnellement le cas au Canada.