«Haïti a l'habitude des coups d'État et des cyclones, mais pas des tremblements de terre.» Ces mots de l'écrivain Dany Laferrière ont résonné hier au milieu d'une vaste fosse commune située à quelques kilomètres de Port-au-Prince, où avait lieu la première cérémonie de commémoration du séisme dévastateur du 12 janvier 2010. Plus de 200 000 personnes auraient été inhumées dans ce cimetière improvisé, parsemé de petites croix noires.

Mais il ne s'agit que d'une estimation. Le nombre exact de victimes du séisme demeure inconnu. En fait, un an jour pour jour après le séisme, Haïti demande l'aide de son peuple, car le pays a de la difficulté à compter ses morts, rapporte notre envoyée spéciale.

Dans les jours qui ont suivi le séisme, les camions des Travaux publics faisaient la file ici pour décharger les cadavres. La grande majorité des victimes du tremblement de terre ont été inhumées dans cette vaste fosse commune. On dit qu'il y en aurait plus de 200 000.

Depuis, le terrain situé en bordure de la Route nationale 1, à une quinzaine de kilomètres de la capitale, a été remblayé. Des centaines de petites croix noires identiques y ont été plantées.

À la veille du premier anniversaire de la tragédie, c'est au milieu de ce cimetière improvisé que l'État haïtien a choisi, hier, de lancer ses activités de commémoration.

Des bourrasques soulevaient la poussière, qui faisait plisser les yeux des dignitaires. Un hélicoptère de l'ONU survolait le terrain. Des dizaines de fonctionnaires, qui ont tous perdu un proche, un collègue ou un voisin, avaient été transportés jusqu'ici en autobus.

Sur l'estrade érigée pour l'occasion, Ronite Louima a brandi une jolie chaussure de femme. Celle de sa fille, morte écrasée sous les décombres alors qu'elle assistait à un cours à l'université. «J'espérais te revoir. Ils ont déblayé. Ils n'ont rien trouvé. C'est là que j'ai vu ton soulier», a-t-elle dit, solennelle. La foule avait les yeux pleins d'eau. Cette fois, ce n'était pas à cause de la poussière.

Puis de jeunes émules de Dany Laferrière ont lu de longs passages de son livre Tout bouge autour de moi. «Haïti a l'habitude des coups d'État et des cyclones, mais pas des tremblements de terre», a lu la comédienne Carline Colagène sous le regard attentif du président René Préval, assis dans la première rangée.

Le président sortant est sous haute surveillance policière à la suite des résultats contestés du premier tour de l'élection présidentielle. Son dauphin, Jude Célestin, pourrait bien être écarté du second tour. «On porte, tous, les marques des 35 secondes du tremblement de terre», a dit le président Préval avant de conclure son discours par un «Accrochez-vous. Courage!» bien senti.

Ces jours-ci, beaucoup d'Haïtiens puisent leur courage dans la religion. Et d'autres en tirent profit. La capitale est tapissée d'affiches annonçant la «Grande croisade d'évangélisation» de Franklin Graham, fils de l'influent évangéliste américain Billy Graham. Il a rempli le stade Sylvio-Cator de Port-au-Prince deux jours de suite le week-end dernier. Quelque 40 000 personnes, dont des milliers d'enfants, sont venues l'entendre prêcher. «Rappelez-vous que Dieu aime Haïti. Dieu a un plan pour Haïti», a-t-il scandé en anglais.

Franklin Graham n'est pas la seule personnalité publique à débarquer dans le pays dévasté pour souligner le premier anniversaire de la tragédie. Le chanteur Wyclef Jean, qui a échoué à devenir le prochain président d'Haïti, est arrivé hier. L'ancienne gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, fera aussi une visite éclair. L'ancien président des États-Unis Bill Clinton est également attendu.

Signe de la lenteur de la reconstruction, un an après le séisme, le gouvernement haïtien a inauguré un seul bâtiment. Après avoir quitté la fosse commune, les dignitaires ont souligné la restauration du Marché de fer, marché public le plus ancien de Port-au-Prince.

Aujourd'hui, en matinée, une messe catholique sera célébrée en plein air devant les décombres de la cathédrale de Port-au-Prince. Rien n'a encore été ramassé.

À 16h53, au moment où un séisme de magnitude 7 a fait trembler Haïti l'an dernier, les cérémonies culmineront avec une minute de silence qui sera observée dans tout le pays. Dans les camps de déplacés où résident toujours 800 000 personnes, cette minute de silence risque d'être dérangée par le bruit des estomacs vides.