Julian Assange, qui doit comparaître aujourd'hui à Londres, est toujours isolé dans la campagne anglaise, où il est assigné à résidence. Et les effets des pressions politiques et financières exercées sur lui et son équipe à la suite des fuites des télégrammes diplomatiques américains commencent à se faire sentir. Le cofondateur de WikiLeaks a accordé une rare entrevue à notre collaborateur.

Julian Assange sort de sa voiture. Il sourit et entre dans le commissariat de Beccles, où il doit se présenter quotidiennement entre 14h et 17h. Il en ressort deux minutes plus tard. «Non, je ne peux pas vous accorder d'entretien. Je suis malade, j'ai un problème à l'oeil et j'ai de la fièvre. De plus, je dois me concentrer et préparer l'audience de mardi avec mon avocat, qui arrive ce soir. Je suis désolé.»

Coiffé d'un bonnet de laine, vêtu d'un épais pull vert et d'un pantalon de pyjama, chaussé de grosses bottes, l'oeil rouge et le teint blafard, le cofondateur de WikiLeaks fait peine à voir. Il semble sortir de son lit.

Le lendemain, peu avant 17h, la petite voiture noire réapparaît. «Vous êtes encore là!» s'étonne la collègue de Julian Assange. À l'intérieur de la voiture, celui-ci ne porte plus de bonnet. «Il ne peut plus accorder d'entretien à son domicile, son avocat le lui a interdit. Il ne peut plus parler du procès non plus, seuls ses représentants sont désormais habilités à le faire. Il lui appartient maintenant de décider s'il accepte de discuter avec vous ici ou pas.»

Il a accepté.

«WikiLeaks fonctionne pratiquement comme avant, dit-il, en dehors de quelques interruptions liées à mon incapacité de me déplacer et aux moyens de communication limités dont nous disposons.»

Ses nouvelles conditions de vie commencent pourtant à lui peser. «Personnellement, je ne serais pas contre un peu plus de soleil et un peu plus de liberté, d'autant plus que j'aime bien voyager», dit-il avec un sourire en coin. Il trouve aliénant de devoir porter à la cheville un bracelet électronique, qui l'empêche de marcher à l'aise. «Je n'ai pas été accusé de quoi que ce soit au Royaume-Uni et en Suède, je me demande pourquoi je dois supporter ce genre de conditions de liberté.»

Depuis quelques minutes déjà, un autre Julian Assange que celui que l'on dépeint depuis des mois comme un monstre d'ambition se dessine. Visiblement fatigué par la maladie qui a fait gonfler et rougir son oeil, il expose une faiblesse et une humanité évidentes. Derrière le mythe ressortent les restes du féru d'ordinateur devenu militant politique dès l'adolescence: ses gestes sont un peu gauches, une gentillesse mêlée de timidité transparaît. «D'un point de vue personnel, jusqu'à présent, tout va bien.» Puis, après une pause: «Plus de pression serait intenable», ajoute-t-il.

Mais il se reprend immédiatement: «Tout cela a en tout cas permis que les gens du monde entier, et notamment de l'Occident, soient au courant de la façon dont les choses se passent vraiment en matière de censure. Quand des entreprises comme Bank of America, PayPal ou d'autres appliquent une censure économique non pas pour des motifs juridiques, mais sous la pression politique, elles exposent un fonctionnement semblable à celui d'une URSS auparavant diabolisée. Rien que cela justifie le risque que nous prenons.»

Son organisation peine, pourtant. Les effets de la stratégie d'enfermement menée par Washington se font sentir. «Nous avons perdu environ 500 000 (plus de 640 000$) par semaine pendant la période qui a suivi la publication des télégrammes» en raison des interdictions de Visa, MasterCard, PayPal et Bank of America de virer de l'argent sur les comptes bancaires de son organisation. «Et il faudra à un moment que nous puissions récupérer cet argent si nous voulons poursuivre notre activité. D'un point de vue professionnel, en revanche, ce genre de pression rend les gens encore plus déterminés. C'est également mon cas: je les aime presque.»