Avant que le pays ne bascule dans la guerre civile en 1991, les habitants de Mogadiscio faisaient la queue devant le cinéma Hodan, apprécié des jeunes pour ses projections en plein air. À présent, les files d'attentes sont celles de femmes affaiblies ayant fui la sécheresse, dans l'attente d'une ration de nourriture.

La façade de cette ancienne institution est couverte d'impacts de balles d'armes automatique et défigurée par endroits: les combats à l'artillerie lourde des mois passés entre les forces gouvernementales et les insurgés shebab ont fait leur oeuvre.

Pour Isnino et les autres, l'objectif est avant tout de passer le check-point des gardes lourdement armés à l'entrée du bâtiment, puis de rejoindre les ruines de l'ancien auditorium à ciel ouvert où elle se verront distribuer une ration de 25 kg de nourriture comprenant riz, sucre, huile de cuisine et dattes.

«C'est la première fois que je reçois de la nourriture depuis que je suis arrivée à Mogadiscio il y a deux mois», explique Isnino, mère de cinq enfants, dont le dernier, Mohamed, est né la semaine dernière dans un camp de fortune installé dans un autre édifice délabré du voisinage.

«Ca va nous aider vu que nous n'avons rien et que mes enfants sont malades», ajoute-t-elle doucement.

Plus de 100 000 Somaliens ont fui la sécheresse dans leurs campagnes du sud et du centre de la Somalie et sont venus s'entasser dans des camps de fortune dans la capitale, dans l'espoir d'accéder à l'aide humanitaire, en dépit des combats et l'insécurité.

L'ONU a déclaré cette population de déplacés en état de famine et s'inquiète du risque grandissant d'épidémie de choléra.

Cette crise humanitaire, qui touche l'ensemble de la Corne de l'Afrique à des degrés divers, est selon l'ONU la pire en Somalie depuis celle de 1991-1992 qui avait suivi la destitution du président Mohamed Siad Barre.

«Nous faisons ce que nous pouvons avec ce que nous avons pour aider les gens», témoigne Arafat Abdullahi Abdi, de la Fondation Zamzam, une ONG somalienne qui distribue de l'aide fournie par une oeuvre caritative du Koweït.

«Nous donnons tout ce que nous avons mais il y a tant de personnes dans le besoin», ajoute-t-il.

Les ONG et autres agences humanitaires de l'ONU ont été dépassées par l'ampleur de la crise et peinent à rattraper leur retard: en attendant l'arrivée de stocks par la mer, plusieurs d'entres elles ont ouvert un pont aérien, une solution plus rapide mais beaucoup plus coûteuse.

Comble du paradoxe, les étals des marchés sont bien fournis mais les déplacés n'ont pas d'argent, leur seul capital - le bétail - ayant été décimé par la sécheresse.

En outre, un correspondant de l'AFP a vu des sacs de grains du Programme alimentaire mondial (PAM) vendus illégalement sur un marché à proximité du rond-point du «Kilomètre 4». L'ONU a annoncé avoir lancé une enquête après la publication d'informations sur ces vols présumés de stocks alimentaires.

Au cinéma, Batula Moalim se félicite de l'aide reçue et calcule déjà comment rationner pour la faire durer le plus longtemps possible.

«C'est la deuxième fois qu'on m'en donne mais ça ne dure pas très longtemps. Ce que j'ai ici durera environ 10 jours, peut-être 12 si je fais des petites portions», pour ma famille de 12 personnes, explique cette femme qui a également fui la sécheresse dans sa région du Bas-Shabelle.

La distribution prend fin, faute de stocks suffisants. Les bénéficiaires repartent vite dans leurs abris et camps respectifs, de peur d'être dépouillées de leur nourriture en chemin.

En contrebas, sur le port, les dockers entreposent dans de grands hangars les tonnes de nourriture arrivées ces derniers jours par avions. Mais le gros de l'aide humanitaire est actuellement en route par la mer.

«Le port est prêt à accueillir toute l'aide nécessaire», assure Ahmed Ali Karie, responsable adjoint du port. «Les bateaux sont en route», promet-il.