Dans le quartier Tottenham, à l'endroit exact où le jeune Mark Duggan a été abattu par la police, là où toute l'agitation de cette semaine a pris naissance, une affiche annonce la construction de gigantesques tours de logements sociaux. «Le gouvernement de Sa Majesté: construire l'avenir de la Grande-Bretagne», y lit-on.

Plusieurs jeunes, ici, ignorent toutefois quelle pourrait être leur place dans «l'avenir de la Grande-Bretagne». Avant même les émeutes, les médias locaux parlaient de «génération sacrifiée» ou de «génération perdue».

Un million d'adultes âgés de 25 ans et moins sont sans travail au Royaume-Uni. Le taux de chômage chez les jeunes est de plus de 20%. Aucun pays développé n'offre à ses jeunes aussi peu de chances de monter dans l'échelle sociale, selon l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

«Il y a un sentiment de désespoir chez ces gens», constate Rowena Davis. À 27 ans, elle est l'une des plus jeunes conseillères municipales de Londres. Et l'une des plus proches, en âge, des émeutiers.

Elle s'est retrouvée au beau milieu du saccage, lundi dernier, dans son district de Southwark. Contrairement au premier ministre David Cameron, qui a vu dans les émeutes de la criminalité «pure et simple», elle croit qu'il y avait un peu plus que cela dans l'air: «Aucun des émeutiers ne se définissait comme un manifestant. Aucun n'a dit «on ne trouve pas d'emploi». Mais je crois qu'ils peuvent avoir une raison sans être capables de l'articuler.»

Selon le quotidien The Guardian, qui a compilé des données sur toutes les personnes accusées à la suite des émeutes, l'écrasante majorité d'entre elles sont effectivement sans emploi.

Donalda Gassa, résidante de Tottenham qui vit dans la peur depuis une semaine, est convaincue que son quartier aurait été épargné si le chômage était moins élevé: «Si on a un travail, on ne va pas le laisser pour aller faire du grabuge. Les jeunes ne font rien, car il n'y a pas de boulot. Donc ils profitent de l'occasion pour faire n'importe quoi.»

«Pas d'argent pour manger»

Omed Ismaeli, 23 ans, ne ressemble en rien à un voyou capable de casser une vitrine. C'est fraîchement rasé, bien coiffé, vêtu d'un veston et d'une chemise propre qu'il sort du centre d'emploi, équivalent britannique d'un bureau de chômage et d'aide sociale.

«Pourquoi croyez-vous que les gens volent? demande-t-il. Parce qu'ils n'ont pas de travail. Pensez-vous que quelqu'un peut vivre avec 77£ pour deux semaines? Depuis cinq jours, je n'ai pas d'argent pour manger, je dois emprunter!»

Soixante-dix-sept livres (124$), c'est l'allocation que verse le gouvernement aux sans-emploi comme lui. Pour l'obtenir, Omed Ismaeli doit prouver qu'il cherche du travail. Il sort de ses poches une liasse de papiers. Des formulaires de demande d'emploi. «J'en envoie 10 par semaine. Regardez, j'en ai des tonnes! On me répond toujours que la place est prise ou qu'on va m'appeler en cas de besoin», se désole-t-il.

Derrière lui, les gens entrent et sortent constamment du centre d'emploi. Une quinquagénaire, Catherine Wakefield, se présente à son rendez-vous. «J'ai trois fils, et aucun n'a d'emploi. Deux ont fait des études. Mais il n'y a rien pour eux.»

Elle-même vit de l'assistance sociale. «J'ai été commis de bureau pendant des années. Puis j'ai arrêté pour avoir cinq enfants. Et le temps file. Maintenant, j'ai 54 ans, et c'est dur de trouver quelque chose à mon âge», dit-elle.

La mère de famille croit que l'immigration a attisé le problème: «Ils laissent entrer ici beaucoup de gens d'autres pays qui prennent les emplois. D'autant plus que les immigrés sont qualifiés.»

Une cassure

Certains blâment l'immigration, d'autres le programme d'austérité du gouvernement conservateur et ses coupes dans les dépenses publiques. D'autres encore prétendent que c'est l'État-providence qui a encouragé les jeunes à la paresse.

«Ils n'ont pas à aller travailler, ils reçoivent de l'argent du gouvernement quand même et ils peuvent travailler au noir en même temps!», peste Byron Truvalian, chauffeur de taxi dégoûté par la casse des derniers jours.

Résidante de Tottenham, Maria Newman abonde dans son sens: «Ils vivent dans un pays où l'éducation est gratuite, pourquoi n'ont-ils pas de job? Pourquoi n'ont-ils pas d'aspirations? Ils ne font que flâner et ne contribuent en rien à la société. Et si on ne travaille pas, à Londres, on ne s'inquiète pas, on va avoir un logement social gratuit», ironise cette enseignante.

Autour d'elle, des ouvriers s'activent. La réparation des vitrines brisées et de l'asphalte des rues endommagées par le feu va bon train.

La réparation de la cassure entre la société britannique et certains de ses jeunes, elle, risque de prendre plus de temps.