Ils ont surgi pendant les émeutes, alors que la police avait perdu le contrôle de Londres: des groupes de citoyens armés, qui protégeaient leur quartier contre les pillards. Mais maintenant que l'ordre est revenu dans la capitale, la police craint que certains justiciers improvisés ne dépassent les bornes.

«Dans ce quartier, il y a surtout des familles turques et kurdes. Et dans notre pays, si quelqu'un enfonce notre porte de façon aussi sauvage, nous lui faisons face. Jusqu'à la mort!», insiste Mehmet Gumus.

Le barbier du quartier de Dalston et ses amis commerçants sont devenus des héros locaux. La télévision turque est venue les interviewer. Une journée «remerciez un Turc» a même été organisée sur Facebook.

Dans les pâtés de maisons voisins, tout le monde en parle. «Vous voulez voir les Turcs qui ont chassé les émeutiers? C'est deux rues par là!», lance un boucher derrière son comptoir.

Lorsqu'une bande de pillards s'est approchée de la rue Kingsland High, lundi, les commerçants turcs se sont mobilisés.

«Nos gens étaient 50 ou 60, avec des couteaux à kebab et tout. Les jeunes qui sont arrivés nous ont proposé de piller seulement les commerces des autres communautés, mais nous avons dit non, et nous les avons forcés à s'enfuir en courant», raconte Mehmet Gumus avec émotion.

Il sort sur le trottoir et fait de grands gestes pour recréer les mouvements de foule dans la rue.

«Quatre d'entre eux sont revenus le lendemain, comme des chacals. Nos gars sont sortis des commerces et leur ont donné une bonne raclée dans la ruelle. Le message, c'était qu'ils ne doivent pas venir ici», explique-t-il.

Communauté sikhe

Autre groupe devenu instantanément populaire dans les médias: les quelque 700 sikhs qui ont protégé le quartier de Southall, dans l'ouest de la ville. Aucun pillage n'a été constaté dans leur voisinage.

Des photos ont circulé où les justiciers enturbannés posent fièrement avec des bâtons et des kirpans longs de plus de 1 m.

«Les agents de la police antiémeute sont venus nous voir. Ils nous ont dit de mettre de côté les bâtons de hockey et les kirpans, de prendre seulement des bâtons courts et de garder la situation en main», relate Shinda Singh, qui faisait partie du groupe.

Campé devant son temple, il jette un regard à la foule de femmes, d'hommes, d'enfants, d'adolescents et de vieillards qui passent un moment à prier ensemble, en plein après-midi de semaine.

«Je suis fier de ma communauté. C'est un exemple pour toutes les communautés. Les gens devraient être ensemble», dit-il.

Les groupes de défense turcs et sikhs ont reçu l'aval du maire de Londres, Boris Johnson.

«Les gens qui ont à coeur l'intérêt de la communauté et qui veulent s'occuper les uns des autres, bien sûr que je les veux dans la rue», a-t-il déclaré.

La police avait d'ailleurs dit aux citoyens qu'ils avaient le droit d'utiliser une «force raisonnable» pour repousser les agresseurs.

Extrême droite

Mais d'autres groupes inquiètent les autorités. Par exemple l'English Defense League (EDL), regroupement d'extrême droite qui dit avoir organisé des patrouilles citoyennes dans cinq villes.

Mercredi soir, dans le quartier londonien d'Enfield, la police a dû disperser un de leurs rassemblements, qui visait pourtant à l'aider dans sa lutte contre les émeutiers.

Selon le quotidien The Independant, des membres du groupe de 200 personnes auraient pourchassé un adolescent de 17 ans en criant: «Attrapez les Noirs et les Pakis!»

Le chef de Scotland Yard, Tim Godwin, a dénoncé l'exploitation des émeutes par l'EDL. «Je m'inquiète du fait qu'ils tentent de détourner cela et de causer plus de tensions dans la communauté. Ce sont des groupes aux motivations politiques, qui ont des intentions cachées.»

Le sous-commissaire adjoint, Steve Kavanagh, a été encore plus dur: «Ce dont je n'ai pas besoin, c'est de ces soi-disant justiciers, qui semblent avoir trop bu et qui empêchent la police de faire son travail, à savoir empêcher les pillages», a-t-il déclaré à la chaîne SkyNews.

Lors d'un entretien téléphonique avec La Presse, le porte-parole de l'EDL, Tommy Robinson, a nié que des gens aient été ciblés pour la couleur de leur peau. «Il y avait des Noirs avec nous qui étaient aussi dégoûtés par ces ordures», dit-il en référence aux émeutiers.

«Les politiciens qui nous critiquent se fichent du fait que ces ordures envahissent nos rues. Nous, nous sommes des gars de la rue et nous avons décidé de les stopper», lance-t-il avec défi.