À la veille du deuxième tour de l'élection présidentielle française où s'affrontent Nicolas Sarkozy et François Hollande , nos journalistes se sont rendus à Clichysous- Bois, au nord-est de Paris, et à Saint- Gilles, dans le Midi dans la France, où la question de l'immigration est au coeur des conversations. Pour le meilleur et pour le pire.

Lors de l'élection présidentielle française de 2007, la question des banlieues avait occupé une place importante dans les débats, ce qui avait suscité un flot de promesses devant permettre d'éviter la répétition des violentes émeutes survenues quelques années plus tôt.

Des promesses écoutées avec beaucoup d'attention à Clichy-sous-Bois, où la mort par électrocution de deux adolescents qui cherchaient à se cacher pour échapper à la police avait mis le feu aux poudres.

Le temps a passé, mais les choses n'ont guère changé pour nombre de résidants de la petite ville, enclavée dans le nord-est de Paris dans une zone mal desservie par les transports en commun.

«On parle de la crise économique comme si elle venait d'arriver. Mais ici, on ne connaît que ça», souligne Audrey Zaczynski, qui milite au sein d'Aclefeu, collectif fondé dans la foulée des émeutes pour sensibiliser les élus à la réalité des quartiers sensibles et mobiliser politiquement les populations concernées.

Keziban Tokat est bien placée pour témoigner des difficultés de la vie quotidienne. Cette mère de trois enfants, qui travaille à temps partiel comme brigadière scolaire pour un salaire mensuel de 300 euros, surnage sans perdre le sourire.

Elle occupe un petit appartement dans un immeuble résidentiel décrépit de la cité du Chêne-Pointu, au centre de Clichy-sous-Bois.

Des volets métalliques déglingués pendouillent des fenêtres qui donnent sur un terrain gazonné où une glissade rouillée fait office de parc d'enfants. L'entrée et les murs extérieurs du rez-de-chaussée sont couverts de graffitis. Plusieurs boîtes aux lettres sont défoncées.

«C'est comme si c'était des animaux qui habitaient ici», souligne Mme Tokat, qui doit monter et descendre à pied 10 étages, plusieurs fois par jour, pour se rendre à son travail, car l'ascenseur est hors service «depuis quatre ans».

La Ville, qui n'est pas propriétaire de l'immeuble, sous administration judiciaire, a récemment mis en place un service de portage pour les résidants les plus vulnérables. Embauché à cette fin, Nacer Belaïd monte et descend des sacs pour 600 euros par mois.

L'homme de 46 ans, tout comme Mme Tokat, ne votera pas demain puisqu'il n'a toujours pas obtenu la citoyenneté française après des décennies de vie dans le pays.

S'il le pouvait, il voterait pour le président sortant, Nicolas Sarkozy. «Il a bien nettoyé, mais il y a encore du nettoyage à faire», affirme M.Belaïd en parlant de l'immigration illégale.

«Je ne veux pas que les clandés viennent. Après, c'est la crise du travail. Il n'y a déjà pas de boulot ici», opine MmeTokat.

Son fils aîné, qui est citoyen français, entend voter pour le candidat socialiste François Hollande. «Il espère que ça va lui apporter du boulot. Il est plombier, mais n'arrive pas à trouver du travail», explique-t-elle.

Le représentant de la gauche, qui a reçu l'appui de plus de 45% de la population locale lors du premier tour de l'élection présidentielle, est beaucoup plus populaire dans les quartiers défavorisés que le président sortant, Nicolas Sarkozy.

Les sorties musclées de l'ancien ministre de l'Intérieur demeurent bien gravées dans les mémoires. Et la rhétorique sur l'immigration mise de l'avant entre les deux tours n'a pas arrangé les choses.

«Il parle des immigrés et tout ça. Il parle trop de l'islam», dit Karim Atsouli, jeune homme d'origine marocaine de 20 ans.

Thierry pense pour sa part que Nicolas Sarkozy ne va pas assez loin. S'il votait, cet ambulancier soutiendrait le Front national pour réduire l'immigration, mais il ne voit pas pourquoi il participerait au scrutin.

«Ça fait 20 ans que les politiciens mentent. Et ça fait 20 ans que les choses n'ont pas bougé ici», souligne l'homme de 45 ans, qui redoute une victoire socialiste et d'éventuelles hausses d'impôts.

«Mieux vaut Sarkozy. Au moins, il a cinq ans d'expérience au pouvoir. L'autre, on sait qu'on sera encore plus dans la merde. À caca contre caca, on garde celui que l'on connaît déjà», dit-il.

Jérôme Dolex, qui travaille dans le secteur audiovisuel, aimerait bien pour sa part que les élus surmontent les divisions partisanes et unissent leurs forces pour régler les problèmes de la population.

«Beaucoup de gens sont mal intégrés, paumés. Ceux qui ont foutu la zone en 2005 n'ont pas eu de solutions à leurs problèmes depuis cinq ans», juge l'homme de 42 ans, qui votera François Hollande au second tour après avoir soutenu François Bayrou dans la première phase du scrutin.

Dans le climat de morosité actuel, Aclefeu affirme avoir fort à faire pour convaincre les citoyens de se rendre aux urnes. Le taux de participation de près de 70% enregistré au premier tour à Clichy-sous-Bois est inférieur de 10 points à la moyenne nationale, mais largement supérieur à celui enregistré lors de récents scrutins de moindre importance.

«Les gens ont tendance à penser que rien ne va changer, qu'ils votent ou non. Mais si on ne vote pas en banlieue, c'est un cercle vicieux», souligne Mme Zaczynski.