Le chef d'État français, Nicolas Sarkozy, aura fort à faire pour attirer massivement à lui les voix du Front national dont il a besoin pour espérer vaincre le candidat socialiste Français Hollande au second tour de l'élection présidentielle.

La dirigeante de la formation d'extrême droite, Marine Le Pen, qui a créé la surprise au premier tour dimanche en remportant 18% des voix, risque en effet de tout faire pour dissuader ses partisans de soutenir le chef de l'État.

La politicienne, au dire du sociologue Erwan Lecoeur, veut favoriser la défaite du président pour entraîner «l'explosion» de la droite traditionnelle et de son parti, l'UMP, en vue d'en récupérer une frange et de s'imposer à l'avenir comme la principale formation d'opposition à la gauche.

Mme Le Pen devrait, à ce titre, lancer un appel à l'abstention au cours du défilé du 1er mai que le Front national tient traditionnellement à Paris en l'honneur de Jeanne d'Arc.

«Je pense qu'elle dira qu'il ne faut voter ni pour la peste ni pour le choléra, qu'il faut attendre que l'UMP s'effondre et récupérer les morceaux derrière», indique en entrevue M. Lecoeur.

La droite menacée

Le directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, Renaud Dély, avance aussi dans une analyse diffusée hier que l'implosion de la droite n'est pas à exclure en cas de défaite de Nicolas Sarkozy.

Selon lui, une partie importante de l'UMP serait prête «à céder aux sirènes lepénistes» si le président sortant chute dans quelques semaines.

«L'ex-parti unique de la majorité, [...] profondément divisé entre tenants d'une ligne musclée et rescapés de la droite humaniste et sociale, ne tient plus que par l'autorité du leader. Seule la soumission à la figure de Nicolas Sarkozy tient aujourd'hui lieu de ciment», avance M. Dély.

Le président avait réussi en 2007, en menant une campagne axée sur les questions d'immigration et d'identité nationale, à aspirer une part importante du vote du Front national. Il a repris le même procédé cette année sans obtenir le même résultat.

Selon M. Lecoeur, Marine Le Pen a réussi par son entreprise de «ravalement de façade» du Front national à démultiplier sa présence dans les médias et à «renverser le balancier» électoral en sa faveur. La «déception extrêmement forte» de la population par rapport au premier quinquennat du président, sur fond de crise économique, a aussi fortement joué en ce sens.

Dans le camp présidentiel, l'appui à la candidate frontiste est reçu comme un vote de «crise» et de «contestation» et non comme un désaveu de la droite traditionnelle ou de Nicolas Sarkozy lui-même.

«On va vers les extrêmes pour exprimer l'envie de changer le monde. C'est vrai dans toute l'Europe. C'est une forme de révolte, de colère, ce n'est pas de l'anti-sarkozysme», a déclaré hier le conseiller spécial du président, Henri Guaino, lors d'une entrevue télévisée.

Il assure qu'il n'y «aura pas entre les deux tours d'accords électoraux, de combines, de négociations secrètes» avec le Front national, dont la montée a été dénoncée hier par plusieurs dirigeants européens.

Selon le quotidien Le Monde, le président français entend persévérer sur la ligne «à droite toute» entre les deux tours de manière à rallier les partisans frontistes à sa cause. Son équipe entend aussi faire pression sur cet électorat en relevant qu'ils «verraient l'inverse de ce qu'ils souhaitaient pour le pays» si la gauche l'emporte.

Un sondage Ipsos produit au soir du premier tour indique que 60% des partisans de Marine Le Pen pourraient voter pour Nicolas Sarkozy au second tour contre 20% pour François Hollande, alors que la balance (quelque 20%) s'abstiendrait de voter. Certains analystes, dont M. Lecoeur, prédisent toutefois que le taux d'abstention dans le camp frontiste pourrait être encore plus élevé, ce qui compliquerait d'autant la tâche du chef d'État devant son adversaire socialiste.