À en croire un de ses détracteurs, le projet de loi sur les armes à feu représentait «une nouvelle tentative initiée par des forces subversives» pour placer les Américains «sous la domination d'un gouvernement socialiste mondial».

Ce critique ne dénonçait pas le traité sur le commerce des armes conventionnelles adopté la semaine dernière par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies (ONU), avec l'appui de l'administration américaine. Il ne pourfendait pas non plus la proposition de Barack Obama de généraliser la vérification des antécédents judiciaires et psychiatriques de tous les acheteurs d'armes à feu. Il dénonçait en fait un texte déposé par un sénateur démocrate peu après l'assassinat du président John F. Kennedy pour renforcer le contrôle de l'État fédéral sur les ventes d'armes à feu par la poste.

Théories du complot

Les craintes de ce détracteur font partie des théories du complot évoquées par l'historien Richard Hofstadter dans un célèbre livre publié aux États-Unis en 1964 et traduit récemment en français sous le titre Le style paranoïaque (François Bourin Éditeur). L'essai a beau porter sur des phénomènes remontant à un demi-siècle ou plus - le maccarthysme et la candidature du républicain Barry Goldwater à la présidence, entre autres -, il semble avoir été écrit en s'inspirant de l'actualité.

«À en juger par l'évolution de la droite américaine, on a le sentiment que celle-ci est entrée dans un nouveau cycle de «style paranoïaque» qui évoque beaucoup plus l'époque de Goldwater que celle de Reagan», écrit le préfacier Philippe Raynaud. Il fait notamment allusion aux «birthers», qui doutent de la citoyenneté américaine de Barack Obama, à Sarah Palin, qui accuse le président de vouloir créer des «tribunaux de la mort», et à Glenn Beck, qui traite ce dernier de raciste et le compare à Hitler.

On aurait pu penser que la réélection de Barack Obama marquerait la fin de ce cycle, mais il n'en est rien. Et le débat sur le contrôle des armes à feu est l'un des événements qui lui ont donné un second souffle. Ainsi, dans l'esprit du sénateur républicain du Kentucky Rand Paul, le traité sur le commerce des armes conventionnelles s'inscrit dans un complot ourdi par des «bureaucrates de l'ONU» pour «enregistrer, bannir et confisquer les armes à feu» des citoyens américains. Rien de moins.

Rand Paul a promis à ses partisans de s'opposer non seulement à la ratification de ce traité par le Sénat, mais également à l'adoption de tout texte visant à renforcer la réglementation sur les armes à feu aux États-Unis. Il sera épaulé dans ce combat par plusieurs sénateurs républicains qui voient notamment dans la proposition de généraliser les vérifications des antécédents des acheteurs d'armes un prélude à la création d'un registre national.

Les promoteurs d'une généralisation des vérifications auront beau multiplier les démentis, Rand Paul et compagnie n'abandonneront pas leur théorie du complot. Le «style paranoïaque» ne ressort pas seulement dans le débat sur les armes à feu. Le sénateur républicain du Texas Ted Cruz en a fourni une illustration lors de l'audition de confirmation de l'ancien sénateur républicain du Nebraska Chuck Hagel comme chef du Pentagone.

«Il est pertinent de savoir si les 200 000$ qui ont été versés dans son compte bancaire venaient directement d'Arabie saoudite ou de la Corée du Nord», a déclaré le sénateur, en faisant allusion à des honoraires de conférencier reçus par Chuck Hagel.

Les insinuations infondées de Ted Cruz lui ont valu d'être comparé au sénateur Joseph McCarthy, traqueur de communistes dans les années 50, auquel il ressemble physiquement de surcroît.

Le sénateur républicain d'Oklahoma James Inhofe a donné un autre exemple du «style paranoïaque» en décrivant le consensus scientifique sur les changements climatiques comme «le plus grand canular jamais perpétré contre les Américains».

Ces exemples ne font qu'effleurer un phénomène qui n'est pas l'apanage d'un pays ou d'un courant politique, comme l'écrit Richard Hofstadter dans son livre. Mais force est d'admettre que le «style paranoïaque» a trouvé un terreau fertile aux États-Unis chez ceux que l'historien appelait les «pseudo-conservateurs».

À leur sujet, le professeur de l'Université Columbia, à New York, a écrit ce passage, qui s'applique peut-être aujourd'hui aux militants du Tea Party et aux élus qui se réclament de ce mouvement de contestation: «Quand bien même les tenants de ce courant se définissent eux-mêmes comme des «conservateurs» et recourent généralement à la rhétorique du conservatisme, ils présentent les signes d'une insatisfaction profonde et perpétuelle vis-à-vis de la société américaine. Ils sont assez étrangers à l'esprit de modération et de compromis associé au vrai conservatisme.»