Il a travaillé dans les camps de réfugiés rwandais après le génocide, mais aussi auprès des survivants de la guerre des Balkans. Il a maintes fois été dépêché en Haïti après des ouragans destructeurs et était en Asie au lendemain du tsunami. Guerres, catastrophes naturelles, le Canadien Kevin McCort a à son actif 20 ans d'expérience au sein d'organisations humanitaires internationales. Mais malgré sa longue feuille de route, celui qui préside CARE Canada depuis 2008 a été ébranlé par son récent voyage au Pakistan, où des inondations ont fait 1667 morts et 18,7 millions de déplacés. La Presse lui a demandé de faire le point.

Q Tous les jours, nous en apprenons un peu plus sur les inondations au Pakistan et la crise humanitaire qui en découle, mais il semble difficile de visualiser l'ampleur des dégâts. Qu'avez-vous vu sur le terrain?

R J'ai visité un village dans le nord de la vallée du Swat. La rivière passait au milieu. Des deux côtés de la rue principale, il y avait des édifices de trois étages. Quand elle a débordé, la rivière était d'une telle puissance qu'elle a emporté avec elle un côté de la rue au complet. Il ne reste pas de briques, rien, c'est disparu. Et c'est comme ça un peu partout dans les zones affectées.

Q Vous en avez vu d'autres: à quelle crise humanitaire se compare la situation actuelle au Pakistan?

R Ça ressemble à la situation après le génocide au Rwanda. Alors, 2 ou 3 millions de personnes ont été déplacés par la guerre. Le nombre de déplacés est beaucoup plus grand au Pakistan, mais les problèmes sont à peu près les mêmes. Beaucoup de sinistrés n'ont aucune aucune manière de se nourrir, aucune source d'eau potable, aucune sanitation. Mais les problèmes sont encore plus nombreux au Pakistan. Les réfugiés de la guerre du Rwanda étaient accessibles. Les routes étaient en place. Au Pakistan, il y a de grandes populations qui sont encore complètement inaccessibles. Les routes et les ponts se sont effondrés. Dans ce sens, c'est un peu comme après le tremblement de terre en Haïti. Avec la destruction des ports et des aéroports, certaines populations étaient difficiles d'accès, mais c'est pire au Pakistan, parce que la région affectée est très, très vaste. Comme en Haïti, les besoins pour des abris sont énormes au Pakistan. Il y a des endroits où il y a 400 000 à 500 000 personnes et seulement 5% ont des abris, des tentes.

Q Pourquoi cette difficulté à distribuer des abris?

R Nous avons l'argent pour acheter des tentes et nous avons passé nos commandes auprès des fournisseurs, mais ça prend de 10 jours à deux semaines pour avoir ces tentes. Ironiquement, le Pakistan est le pays au monde qui manufacture le plus grand nombre de tentes, mais en ce moment, il n'y en a pas en stock. Tout a été envoyé en Haïti. L'industrie de la fabrication de tentes n'est pas centralisée dans des usines. Une bonne partie se fait dans de petites entreprises.

Q On entend que des organisations islamistes utilisent cette crise pour recruter parmi les sinistrés. L'avez-vous constaté sur le terrain?

R Lors de mon séjour, je n'ai pas vu d'aide humanitaire utilisée à des fins politiques. Les organisations se mobilisent toutes pour faire le maximum. La société civile pakistanaise en général est active et bien financée. Bon an, mal an, les organisations pakistanaises amassent plus d'un milliard en fonds. D'ailleurs, ces jours-ci, le pays en entier fait des efforts pour aider les sinistrés. Il y a des collectes de fonds visibles dans toutes les villes.

Q Les autorités pakistanaises ont été très critiquées pour leur gestion de la crise. Que pensez-vous de ces critiques?

R Il n'y a pas la sympathie pour le Pakistan qu'il devrait y avoir. Le Pakistan a passé 20 ans à bâtir sa capacité de réponse en cas d'urgence liée aux inondations et ça a été payant. Les gens ont reçu des avertissements et ont pu évacuer à temps. Le nombre de morts a été limité. Le Pakistan a investi des milliards dans ses infrastructures, notamment dans l'irrigation, mais malheureusement, l'ampleur du désastre a dépassé ses ressources. Aucun gouvernement ne serait capable de gérer seul autant de déplacés.

Q D'autres critiques disent que le gouvernement pakistanais devrait dépenser moins en termes militaires et s'occuper davantage de sa population, qu'en pensez-vous?

R L'industrie militaire, au Pakistan fait l'objet d'un débat. Beaucoup sont en faveur de l'achat de jets et d'investissements dans le nucléaire alors que d'autres veulent voir plus d'argent dans la sécurité humaine. Nous avons les mêmes débats en Occident. Ce n'est pas un problème spécifique au Pakistan.

Q Plusieurs organisations humanitaires disent que les dons pour le Pakistan rentrent trop lentement. Est-ce aussi votre perception?

R Pour l'effort d'assistance humanitaire immédiate, il n'y a que de 10% à 20% des fonds nécessaires déjà amassés. Pour la reconstruction du pays, il n'y a rien du tout. Les Nations unies ont lancé un appel et ont réussi à amasser des fonds, mais leur appel était selon moi, trop modeste. Je crois qu'ils ont eu peur d'échouer si plus d'argent était demandé. Les besoins sont immenses.