Le parti islamiste Ennahda qui dirige le gouvernement tunisien s'est engagé samedi après-midi à quitter le pouvoir pour résoudre une profonde crise politique, deux ans après leur victoire aux élections ayant suivi la révolution de janvier 2011.

Le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi, et les dirigeants des partis d'opposition ont paraphé une feuille de route prévoyant normalement la désignation avant la fin de la semaine prochaine d'un premier ministre indépendant qui aura deux semaines pour former son cabinet.

L'équipe dirigée par Ennahda devra alors se retirer, le document signé disant que «le gouvernement donne sa démission dans un délai ne dépassant pas trois semaines» après la première séance du «dialogue national» inaugurée samedi pour résoudre la crise politique déclenchée par l'assassinat le 25 juillet du député Mohamed Brahmi.

La date fatidique reste cependant incertaine, des responsables islamistes considérant que le compte à rebours débutera le jour où l'ensemble des forces politiques se réunira à la table des négociations, une date encore indéterminée, et non à compter de la signature.

«Le dialogue ne va pas commencer lundi, il y aura avant des réunions préparatoires et donc la date de la démission du gouvernement ne va être déterminée qu'à partir du début réel du dialogue», a dit à l'AFP un des dirigeants d'Ennahda, Abdelhamid Jlassi.

«La signature d'Ennahda aujourd'hui représente une grande concession faite dans l'intérêt du pays», a-t-il néanmoins ajouté.

La signature de ce texte rédigé par quatre médiateurs a été disputée jusqu'au bout, retardant la cérémonie de samedi de près de quatre heures.

Le Congrès pour la République, parti du président Moncef Marzouki et allié séculier d'Ennahda, a lui refusé de le parapher.

Malgré ces tergiversations, des opposants se disaient satisfaits de cette journée chaotique.

«Il y a beaucoup de soulagement après le début du dialogue national. Nous espérons qu'il n'y aura pas de divergences pour l'entraver», a jugé Maya Jribi du Parti républicain.

«Le pays a besoin d'un appareil exécutif neutre et la démission du gouvernement est l'axe à prendre pour aller vers une sortie» de crise, a-t-elle ajouté.

Les islamistes, durement réprimés sous le régime déchu de Zine El Abidine Ben Ali, sont arrivés au pouvoir après leur victoire aux élections du 23 octobre 2011, le premier scrutin libre de l'histoire de la Tunisie.

Mais Ennahda a été fragilisé ces derniers mois par deux assassinats d'opposants, des disputes politiques successives, et des conflits sociaux à répétition sans pouvoir mener à bien la rédaction de la Constitution.

Le précédent gouvernement dirigé par les islamistes avait démissionné en février après l'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd.

La feuille de route signée samedi prévoit aussi, à l'issue du «dialogue national», l'adoption dans les quatre semaines d'une Constitution et d'un calendrier électoral, des sujets bloqués depuis des mois.

«Nous n'allons pas décevoir les Tunisiens ni le dialogue», a assuré le premier ministre Ali Larayedh avant la cérémonie de signature.

Le président de l'Assemblée nationale constituante (ANC), Mustapha Ben Jaafar, allié laïque des islamistes, a souligné dans un discours qu'un «échec serait un pêché dont nous aurons à répondre».

Le chef de l'État a pour sa part martelé qu'un échec des pourparlers «porterait un coup aux droits de centaines de milliers de Tunisiens».

Le secrétaire général de l'UGTT, principal médiateur dans cette crise politique, a rappelé aux partis l'urgence de résoudre leurs différends.

«La Tunisie passe par une crise politique, économique, sociale sans précédent qui nécessite des mesures audacieuses», a déclaré Houcine Abassi.

Les experts étaient très prudents quant aux chances de succès de ce «dialogue national», dont l'organisation a nécessité deux mois de négociations sous l'égide de l'UGTT et de trois autres médiateurs.

Le chercheur Sami Brahem relève aussi qu'«au niveau pratique, le calendrier de la feuille de route est réalisable, mais le problème est d'ordre moral, le manque de confiance et la méfiance entre la coalition au pouvoir (...) et l'opposition».

Signe de l'animosité ambiante, des figures d'opposition ont accusé une nouvelle fois cette semaine Ennahda d'être impliqué dans l'assassinat du député Mohamed Brahmi en juillet et dans celui en février d'un autre opposant, Chokri Belaïd. Ces crimes jamais revendiqués ont été attribués à la mouvance salafiste.