Hier, un nouveau gouvernement a été assermenté en Tunisie. À sa tête, un islamiste dit «modéré» qui a longtemps croupi dans les prisons de Ben Ali et qui aura maintenant la tâche de rebâtir les fragiles institutions démocratiques du pays, avant de nouvelles élections à la fin de l'année. Portrait.

Beaucoup d'efforts ont été déployés au cours des 26 dernières années pour que l'islamiste Ali Larayedh ne s'approche pas du pouvoir en Tunisie.

En 1987, le gouvernement d'Habib Bourguiba, premier président de la Tunisie indépendante, l'a fait condamner à mort. À l'époque, l'ingénieur de la marine marchande originaire de Médenine n'avait que 31 ans. Six ans plus tôt, il avait fait partie des premiers membres du mouvement de la Tendance islamiste, devenu le parti islamiste Ennahda. Lors de sa condamnation, il était chef du bureau politique de l'organisation.

C'est un certain Zine el-Abidine Ben Ali qui lui a sauvé la peau. En prenant le pouvoir en 1987, le nouveau président a gracié les condamnés à mort, dont Larayedh. Cependant, sa liberté a été de courte durée. En 1990, il a de nouveau été arrêté et, deux ans plus tard, il a été condamné à 15 ans de prison.

L'islamiste a passé 13 de ses années de détention en isolement et a subi torture et mauvais traitements aux mains du régime. Ses bourreaux ont notamment menacé de lui inoculer le VIH et s'en sont pris à sa femme, qu'ils ont soumise à d'humiliants sévices sexuels. Ils ont filmé leurs gestes pour faire pression sur le mari et le convaincre d'abandonner la politique. En vain.

Hier, Ali Larayedh, 57 ans, est officiellement devenu premier ministre de son pays après que l'Assemblée constituante eut accepté son nouveau gouvernement, constitué en partie par ses pairs d'Ennahda, mais aussi par les représentants de deux partis laïques et une horde de politiciens indépendants.

L'homme du dialogue?

Dans les médias tunisiens, plusieurs analystes qualifient le nouveau premier ministre d'islamiste «modéré», adepte des compromis et du dialogue plutôt que de la ligne dure.

Politologue de Tunis joint par La Presse hier, Larbi Chouika décrit un homme «sans grand charisme», mais connu pour sa grande courtoisie. «Comme premier ministre, il est le choix d'Ennahda. Il a émané d'un certain consensus au sein de son organisation», note M. Chouika.

S'il rallie les islamistes, Ali Larayedh ne fait pas l'unanimité dans la société civile tunisienne, toujours en ébullition.

Dans le gouvernement précédent, M. Larayedh a dirigé le ministère de l'Intérieur, celui-là même qui a été responsable de son calvaire d'antan. Il était au pouvoir quand les forces de l'ordre ont réprimé durement une manifestation en novembre 2012. Les affrontements entre manifestants et policiers ont fait près de 300 blessés. «Comment peut-on accorder la confiance à celui qui a ordonné de tirer la chevrotine?», a récemment demandé le député indépendant Hichem Hosni.

C'est aussi pendant son passage au ministère de l'Intérieur que l'opposant politique Chokri Belaïd a été assassiné en plein jour, le 6 février. Ce premier assassinat politique dans la Tunisie moderne a eu raison du gouvernement dirigé par son confrère islamiste Hamadi Jebali.

«Le plus grand défi auquel il devra faire face est le déficit de légitimité du gouvernement dans l'opinion publique», note Larbi Chouika, en ajoutant que la mort de M. Belaïd a profondément ébranlé la société tunisienne.

Lors de son premier discours de premier ministre, M. Larayedh s'est engagé à bâtir un gouvernement pour tous les «Tunisiens et les Tunisiennes», en promettant de respecter l'égalité des sexes. «Les hommes et les femmes sont égaux en droits et en devoirs», a-t-il déclaré, pour tenter de calmer les angoisses des organisations politiques pro-laïques du pays. Il affirme aussi n'avoir aucune intention de vengeance à l'égard de ceux qui lui ont fait vivre l'enfer par le passé.

Mais pour le moment, les Tunisiens attendent de voir si les actes s'allieront à la parole. «Pour réellement connaître ses idées, on devra voir les mesures qu'il prendra. Il n'y a pas d'autres moyens», conclut Larbi Chouika.

Ali Larayedh en sept dates

1955 : Naissance à Medenine, dans le sud-est de la Tunisie.

1981 : Se joint au parti islamiste Ennahda dès sa création.

1987 : Condamné à mort pour activités islamistes. Amnistié par Zine el-Abidine Ben Ali lors de sa prise du pouvoir.

1992 : Condamné à 15 ans de prison pendant le régime Ben Ali. Il en passe 13 en isolement.

2011 : En décembre, il devient ministre de l'Intérieur de la Tunisie postrévolution.

2013 : Le 22 février, le président lui demande de former le gouvernement et d'assumer le poste de premier ministre.

2013 : Le 13 mars, il prête serment comme premier ministre.