Au siège d'Ennahdha à Tunis, elle enchaîne les interviews. Affable, disponible, fatiguée. Souad Abdelrahim assume à la perfection son rôle d'élue «non voilée» du parti islamiste tunisien, mais se défend d'être une «vitrine» ou un faire-valoir.

Tête de liste d'Ennahdha dans la deuxième circonscription de Tunis, cette pharmacienne et femme d'affaires de 47 ans a été élue haut la main lors des élections du 23 octobre et sa liste a raflé 3 sièges. Elle est l'une des 36 sur les 90 élus du parti islamiste dans l'assemblée constituante qui compte au total 49 femmes.

Chevelure auburn, visage souriant un peu las, tailleur-pantalon et manteau gris ajusté. Mme Abdelrahim «la candidate non voilée tête de liste d'Ennahdha», a été habilement mise en avant pendant la campagne comme incarnation de la modernité du parti islamiste.

Lors de la dernière réunion de campagne du parti à Ben Arous, dans la banlieue sud de Tunis, elle avait été ovationnée, volant même la vedette au chef Rached Ghannouchi.

«Est-ce que je suis une vitrine d'Ennahdha? Je ne pense pas, non», balaye Mme Abdelrahim.

«Premièrement, il n'y a pas que ma liste qui a gagné. Le parti islamiste est arrivé en tête dans presque toute la Tunisie», souligne-t-elle. Avant de mettre en avant son passé de militante au sein de l'UGTE, le syndicat des étudiants islamistes. «Je les connais depuis 1985. On a travaillé ensemble, ils me connaissent bien, c'est pour cela qu'ils m'ont proposé de prendre la tête de liste» à Tunis. «J'ai étudié leur programme. J'ai dit oui».

«Ce sont de bons militants, qui travaillent bien, qui sont structurés. Leur stratégie a porté ses fruits, et ils n'ont commis aucune faute politique», insiste-t-elle.

«Oui, ce parti suscite des craintes. Non, la polygamie ne sera pas instaurée, non, on ne va pas imposer le voile», dit-elle, avec plus de véhémence.

«Il y a une phobie d'Ennahdha dans ce pays. Mais les Tunisiens vont juger sur la pratique, et ils comprendront qu'on ne veut rien imposer. La Tunisie pratique un islam modéré, et Ennahdha est un parti politique civil et modéré, respectueux des libertés», poursuit-elle.

Sur la question du voile, elle est intarissable. «C'est une liberté individuelle. L'ancien régime avait fait disparaître les voilées du paysage. Moi, je me sens bien telle que je suis, mais peut-être qu'un jour je me voilerai. En tout cas, ce n'est pas Ennahdha qui me l'imposera», déclare-t-elle.

Ces derniers jours, la rumeur la donne comme candidate du parti à la présidence de l'Assemblée constituante, ce qui constituerait une première absolue dans un pays arabe. Prudente, elle esquive. «Les gens m'ont élue pour que je les représente dans l'Assemblée constituante. Le plus important, c'est que je fasse entendre leurs voix. Il y a des suggestions, des négociations en cours entre les partis, et je ne suis pas membre du bureau politique d'Ennahdha, je ne participe pas à ces négociations», souligne-t-elle.

La sonnerie de son portable se déclenche pour la troisième fois. Musique d'un crooner anglais. «C'est ma fille qui me l'a installée», s'excuse presque Mme Abdelrahim, mère de deux enfants de 15 et 17 ans.

Les enfants, justement. Au dernier meeting de Ben Arous, Mme Abdelrahim revendiquait pour son parti «le ministère de l'Éducation, pour bâtir les nouvelles générations de la Tunisie arabe et musulmane».

«Mais oui! Nous sommes une société arabo-musulmane et nous en sommes fiers. Et dans le même temps, nous devons éduquer nos enfants dès le plus jeune âge au concept de démocratie. Je veux que les prochaines générations ne soient plus obligées de sacraliser les photos d'un président», conclut-elle.