Les premiers résultats partiels de l'élection du 23 octobre en Tunisie confirmaient mardi l'avance du mouvement islamiste Ennahdha, qui devrait se retrouver en position de force dans la future assemblée constituante, neuf mois après la chute de Ben Ali.

Sans même attendre les résultats définitifs et complets, le chef du parti de gauche Ettakatol, Mustapha Ben Jaafar, a annoncé que les discussions pour la constitution d'un exécutif après l'installation de l'Assemblée constituante avaient commencé, notamment avec les islamistes d'Ennahdha.

«Les discussions ont commencé avec tous les partenaires politiques, y compris Ennahdha, et se poursuivent en attendant l'annonce des résultats définitifs», a-t-il précisé tout en se disant personnellement «prêt à assumer les plus hautes responsabilités si un consensus se dégage».

Selon les premiers résultats partiels et officiels annoncés mardi par la commission électorale Isie, Ennahda est arrivé en tête dans neuf des 27 circonscriptions du pays, notamment dans la métropole économique de Sfax (centre-est).

Le parti islamiste obtient 28 des 55 sièges dans ces neuf circonscriptions. Avec les neuf sièges obtenus à l'étranger, il peut déjà compter sur 37 élus dans la future assemblée de 217 membres.

Dans les neuf circonscriptions où le dépouillement a été achevé, Ennahdha est suivi par le Congrès pour la République (CPR, gauche nationaliste) avec 9 sièges, à égalité avec la liste «Pétition populaire pour la justice et le développement».

La surprise est venue de cette liste absente du terrain et dirigée par Hechmi Haamdi, un millionnaire tunisien basé à Londres, qui a fait campagne depuis la Grande-Bretagne par le biais de sa télévision satellitaire Al Mostakilla, regardée en Tunisie.

La «Pétition populaire» fait déjà l'objet de plaintes, en France et en Tunisie, pour le non respect des règles de campagne, notamment pour l'utilisation abusive du média privé du millionnaire et pour l'opacité de son financement.

Le parti de gauche Ettakatol obtient 4 sièges, le Parti démocrate progressiste (PDP, centre) 4 sièges.

Deux jours après le scrutin, auquel plus de 7 millions d'électeurs étaient conviés, les observateurs internationaux ont généralement salué une élection «libre» et «transparente», malgré quelques «irrégularités mineures».

L'Assemblée Constituante devra rédiger une nouvelle constitution et désigner un nouvel exécutif jusqu'aux prochaines élections générales. D'ici là le pays sera gouverné par des autorités de transition.

Pour dégager une majorité, Ennahdha devra négocier avec des formations de gauche, notamment le CPR de Moncef Marzouki et Ettakatol de Mustapha Ben Jaafar, deux anciens opposants.

Des contacts ont été noués entre le CPR et les islamistes avant le scrutin.

Accusé par ses vieux alliés de gauche de «pactiser avec le diable», Marzouki a défendu la nécessité d'une large union nationale pour former une équipe solide ayant «les moyens de gouverner».

Il a toutefois fermement démenti à l'AFP avoir passé une quelconque alliance avec Ennahdha avant le scrutin.

Ettakatol (forum), le parti de Ben Jaafar, qui a annoncé dès mardi soir depuis Bruxelles sa candidature à la présidence intérimaire du pays, avait écarté dès le début de la campagne électorale toute alliance avec Ennahdha avant le vote, mais ferait tout pour compter dans un gouvernement d'union nationale.

La coalition de gauche Pôle démocratique moderniste (PDM), emmenée par Ahmed Brahim, a affirmé avoir «toujours appelé à une alliance des forces démocratiques» et qu'elle resterait «fidèle à cette ligne». Le Pôle s'est clairement rangé dans l'opposition.

Même si Ennahdha, laminé sous Ben Ali, s'impose comme la nouvelle force dominante, les analystes soulignent qu'«il ne pourra pas gouverner seul» et devra composer pour ne pas s'aliéner une société sécularisée attachée à ses acquis et rassurer les investisseurs étrangers.

Le prochain gouvernement sera inéluctablement confronté à une situation économique très tendue, dans un pays où la croissance habituellement autour de 5-6% est nulle ou négative depuis janvier, et où le désastre de la dernière saison touristique a détruit des emplois et gonflé un taux de chômage estimé aujourd'hui à 19%.

Photo: AFP

Rached Ghannouchi, fondateur et chef d'Ennahdha.