Le maintien fin juillet des premières élections libres en Tunisie, propre à rassurer population et investisseurs, constitue un pari logistique et politique risqué, dont le succès est impératif pour faire entrer le pays d'un bon pied dans l'ère post-Ben Ali, selon des experts.

Après plusieurs semaines de spéculations, le gouvernement tunisien de transition a affirmé mardi qu'il comptait bien organiser fin juillet l'élection de l'Assemblée qui sera chargée de rédiger une nouvelle Constitution pour le pays pionnier du «printemps arabe».

Une décision prise contre l'avis de la commission électorale, partisane d'un report du scrutin au mois d'octobre, pour se donner le temps d'organiser d'élections transparentes et démocratiques.

Elle n'aura finalement que huit semaines. Et les embûches ne manquent pas: le simple établissement des listes électorales s'annonce déjà être un casse-tête.

«La commission électorale estime que les listes du ministère de l'Intérieur sont incomplètes, et constituées sur des critères non démocratiques avant la révolution» qui a fait chuter mi-janvier le régime de Zine el-Abidine Ben Ali, explique Slah Jourchi, politologue tunisien.

Sur plus de 10 millions de Tunisiens, 700 000 citoyens en âge de voter seraient dépourvus de carte d'identité.

D'ici fin juillet, le pays doit se doter de 1500 centres d'inscription et former 6000 agents inscripteurs. Il faudra également organiser l'inscription des Tunisiens de l'étranger, appelés à voter pour la première fois.

Le jour de l'élection, 8000 bureaux de vote et 40 000 agents scrutateurs devront être prêts, et «il faut encore mettre le système électronique en réseau», tempête le président de la Commission de réforme politique, Yadh Ben Achour, qui juge la tâche simplement «inconcevable» en deux mois.

Sur le plan politique, l'électeur risque enfin de s'y perdre. Après un demi-siècle de quasi parti unique sous Habib Bourguiba et Ben Ali et la dissolution de l'omnipotent Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), la Tunisie est passée brutalement d'un système de parti-Etat au pluralisme avec plus d'une soixantaine de formations, souvent inconnues du grand public et disposant de quelques semaines seulement pour faire campagne.

Mais pour le gouvernement, respecter la date du 24 juillet relève d'une question de «crédibilité», comme le faisait valoir lundi le ministre des Affaires étrangères.

Pas question pour le Premier ministre Béji Caïd Essebsi et son équipe, à la légitimité contestée, de paraître vouloir s'accrocher au pouvoir ou de froisser une opinion publique impatiente d'élire librement les représentants de la «Tunisie nouvelle».

Selon un récent sondage, réalisé par téléphone auprès de 1250 personnes, 67% des Tunisiens sont pour le maintien du calendrier.

«La tenue des élections dans deux mois est un défi, mais le gouvernement démontre ainsi la volonté de respecter ses engagements en matière de transition démocratique», affirme Slah Jourchi. «Pour eux, l'essentiel est de mettre fin à une situation peu claire qui pèse sur la sécurité et l'économie, avec une élection sans fraude, à défaut d'être une élection-modèle».

«Aucune des instances actuellement en place n'est légitime. En outre, plus les élections sont reportées, moins les perspectives économiques sont claires et plus les investisseurs sont attentistes», concède l'économiste tunisien Mohamed Ben Romdhane.

«Mais il faut également prendre en compte la nécessité d'avoir des élections propres, dont les résultats ne pourront être contestés. Dans le cas contraire, ce serait gravissime», avertit l'expert, par ailleurs membre du parti d'opposition Ettajdid qui espérait un report des élections.