Depuis 2010, un mystérieux collectif de cinéastes syriens baptisé Abounaddara produit dans des conditions dangereuses des courts métrages diffusés sur l'internet chaque vendredi. «Nous voulons montrer au monde que les Syriens ne sont pas des bêtes que l'on tue, mais des êtres humains», explique le cinéaste Charif Kiwan, de passage à Montréal. Il ira présenter le travail du collectif jeudi au siège de l'ONU à New York, une première.

Les images des morts, des enfants blessés et des réfugiés en Syrie ont tellement circulé dans les médias qu'elles ne surprennent plus. Elles font partie de cette tapisserie d'horreurs qui nous parvient des zones de guerre: on dirait qu'elles ont toujours existé et qu'elles existeront toujours.

Ce prisme médiatique qui réduit le pays à ses éléments les plus saillants (le président Bachar al-Assad, les cadavres, les villes détruites) prive les Syriens de leur «droit à l'image», dénonce le cinéaste Charif Kiwan.

«En termes de durée, en termes de victimes, de réfugiés, nous sommes possiblement face à la plus grande tragédie depuis la Seconde Guerre mondiale, dit M. Kiwan, attablé à un café de la rue Berri, jeudi. Or, le spectateur s'est installé dans le confort de celui qui regarde. Si les médias et les cinéastes faisaient leur travail, les spectateurs sortiraient de leur torpeur et demanderaient la fin du conflit, au nom de notre humanité commune.»

Éclairage différent

Pour donner un éclairage différent sur la société syrienne, Kiwan et des collègues ont fondé Abounaddara, collectif de cinéastes anonymes qui produit un court métrage par semaine, diffusé sur le Net. Créé en 2010, avant la guerre, le collectif s'est rapidement retrouvé dans un pays déchiré par les luttes armées et les bombardements quotidiens du régime d'Assad.

Afin d'assurer la sécurité des cinéastes, les films ne sont pas signés. Fiché par le gouvernement, Charif Kiwan ne peut lui-même plus entrer dans les zones en Syrie qui sont contrôlées par le régime d'Assad.

Les cinéastes, dont il ne veut pas préciser le nombre, travaillent sans financement et avec très peu de moyens. Mais le plus difficile, après quatre années de guerre, est l'impact psychologique qu'inflige le conflit.

«Nous avons des collègues qui se sont psychologiquement effondrés, dit-il. Ils ont cru en l'humanité, cru que les puissances extérieures aideraient les Syriens. Certains ont basculé dans le délire islamiste, dans les drogues ou dans l'alcool.»

À l'invitation de l'UQAM, M. Kiwan a présenté Syrie: instantanés d'une histoire en cours, à Montréal jeudi et hier. Un film de 50 minutes qui donne la parole à des hommes et des femmes en Syrie.

Le film comporte de multiples scènes de la vie courante. Des enfants qui jouent, un chauffeur de taxi qui arpente les rues d'une ville syrienne... On y entend aussi des points de vue rarement discutés, comme celui de cet homme, assis devant son ordinateur Macintosh, qui veut que les Américains bombardent l'armée de Bachar al-Assad. «La frappe américaine tuerait 500 civils? Bachar al-Assad en tue 500 en cinq jours!», dit-il.

Présentation à l'ONU

M. Kiwan présentera le film à l'ONU, à New York, jeudi. «Nous voulons dire aux diplomates qu'ils ont un devoir, une responsabilité de protéger les Syriens.»

En gardant les bras croisés alors qu'Assad prend des Syriens pour cibles, l'Occident a permis que le conflit se radicalise, dit-il. 

«Désormais, de jeunes djihadistes en Europe se disent: "Le monde ne réagit pas aux crimes du régime syrien. Vous n'arrêtez pas Bachar al-Assad, ça veut dire que vous êtes complices. Alors moi, je m'en vais en Syrie pour prendre les armes et commettre des crimes." Nous sommes tous devenus complices.»

Consultez la page Facebook d'Abounaddara Films: https://www.facebook.com/pages/Abounaddara-Films/128084573918925