Un terrain loué à bas prix dans la vallée agricole de la Bekaa, au Liban, à seulement 20 minutes en voiture de la frontière syrienne. Une cinquantaine de tentes en désordre, des allées en terre battue, quelques cabines en tôle servant de toilettes et un sol jonché de détritus. C'est à cela que ressemble le quotidien des 300 enfants syriens vivant avec leurs familles dans ce camp de fortune, semblable à des dizaines d'autres au Liban.

Les enfants constituent aujourd'hui 52% de la population totale des réfugiés syriens, estimée à 2,2 millions de personnes, présents notamment au Liban et en Jordanie. «Beaucoup de femmes que nous rencontrons ici sont enceintes», constate une responsable d'une association qui soutient des orphelins et des familles en difficulté. Pour ajouter au drame, les bébés qui naissent au Liban de parents réfugiés syriens se retrouvent malgré eux dans un no man's land administratif, puisque leur naissance n'est enregistrée par aucun des deux pays.

«Il faut avant tout donner aux enfants de quoi vivre décemment, ajoute la responsable. Ils n'ont même pas de quoi se nettoyer: les peaux sont sales, on voit sans s'approcher des poux dans les cheveux.»

Deux petits garçons, assis par terre, pieds nus, lisent des livres qui viennent de leur être distribués. Derrière eux, la «maison» qui est la leur et celle de leur famille depuis un an: une fine couche de béton sur le sol et quelques planches soutenant des bâches. À l'intérieur, le mobilier consiste en quelques matelas étendus sur le sol, une table remplie de provisions, avec un réchaud. Pas de vraie cuisine, pas de salle de bains.

Et dans le camp, pas d'école. Pendant les premières années du conflit syrien, les enfants réfugiés ont eu accès aux écoles publiques libanaises. Mais avec le nombre grandissant d'enfants, arrivés de Syrie ou nés sur place de parents réfugiés, les établissements sont dorénavant saturés. Selon un rapport publié au début du mois par le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR), une agence des Nations unies, le nombre d'enfants syriens au Liban en âge d'être scolarisés sera bientôt égal à celui des élèves libanais. «Si nous n'agissons pas rapidement, toute une génération d'innocents deviendra victime à long terme d'une guerre consternante», prévient António Guterres, chef du HCR.

Traumatismes

Les séquelles sont déjà là. Elles sont d'abord physiques: durant la première moitié de l'année seulement, presque 750 enfants réfugiés syriens ont été soignés dans des hôpitaux libanais, victimes de blessures liées aux combats dans leur pays ou subies pendant le voyage. D'après des statistiques officielles, ce chiffre dépasse le millier en Jordanie.

Les blessures sont aussi psychologiques. «Quand je ferme les yeux pour dormir, j'entends les bombes, et les bombes, et les bombes», raconte Haniya, une petite Syrienne de 10 ans rencontrée à Beyrouth, la capitale libanaise. Avec sa mère et ses soeurs, elle a quitté son village au sud d'Alep il y a un an, après avoir vécu au jour le jour dans la crainte des bombardements.

Le rapport du HCR cite de nombreux traumatismes vécus par les enfants des camps. Certains disent avoir enterré à mains nues des membres de leur famille avant de quitter le pays. D'autres ont été envoyés seuls sur la route, vers le Liban, par des parents qui ne pouvaient les accompagner. Parmi les petits garçons, beaucoup parlent de vengeance, de repartir au combat.

Petites mains au travail

Mais leur réalité actuelle, c'est souvent le travail. Un représentant de l'UNICEF, l'agence des Nations unies pour la protection de l'enfance, estime que 10% des réfugiés syriens de moins de 16 ans sont employés dans des entreprises libanaises ou jordaniennes, illégalement et souvent à très bas salaire. Dans les rues de Beyrouth, ville de toutes les fêtes et de tous les contrastes, on reconnaît l'accent syrien des enfants qui mendient et vendent des fleurs dans les embouteillages et sur les terrasses des bars.

Hassan, 14 ans, astique des voitures dans une station- service à quelques pas de la corniche, un quartier très fréquenté dans le centre de Beyrouth. «Je n'ai pas de salaire fixe, mais le patron me laisse garder l'argent du nettoyage, raconte-t-il. Pendant les journées où je travaille, je peux gagner 15$!» Son regard est fier. Sa posture, accablée.

Ces enfants sont désormais, partout au Proche-Orient, le visage du conflit syrien. À Beyrouth, des conférences, des expositions de photos leur sont consacrées, et les appels aux dons se multiplient. Mais lorsque les journalistes qui se pressent aux portes des camps leur donnent la parole, les gamins évoquent avec innocence leur futur retour en Syrie. À quelques kilomètres de là, derrière les montagnes qui séparent les deux pays, l'écho des bombes semble répondre que ce retour ne se fera pas demain.