Il faisait chaud et le ciel était bleu quand la Dre Joanne Liu s'est levée, un matin de la semaine dernière, dans la ville d'Alep, en Syrie. Aux urgences, la Montréalaise, présidente internationale de Médecins sans frontières, a parlé du beau temps à ses collègues.

«C'est bien ce qui nous inquiète, lui a-t-on répondu. Quand le temps est clair, la visibilité est bonne pour les avions de chasse.» Les premières victimes sont arrivées peu après.

Parmi elles, deux femmes enceintes, blessées alors que des tirs d'artillerie s'abattaient sur un marché de la ville. «Une des femmes a perdu sa jambe, mais son bébé était en santé, dit la Dre Liu à La Presse. L'autre était sur le point de mourir. Nous avons finalement pu la sauver, mais son bébé est mort le lendemain.»

Au-delà ces chiffres et des déclarations officielles, ce sont des familles qui tentent de vivre au quotidien qui sont sur la ligne de front en Syrie, dit-elle. «C'est très poignant de voir les gens endurer cela.»

Des besoins criants

Alors que l'hiver arrive, des centaines de milliers de Syriens ont le ventre vide, selon un nouveau rapport de Human Rights Watch.

L'ONU estime à 6,8 millions le nombre de personnes en Syrie ayant besoin d'assistance médicale, de nourriture et d'autres produits de première nécessité.

Parallèlement, plus de 288 000 civils se trouvent dans des quartiers qui sont assiégés par l'armée syrienne ou les forces rebelles, notamment dans les villes de Homs, Damas, la région de Damas, dont Moadamiya, Douma, Yalda, Yarmouk et Erbin. Là, toute aide humanitaire est bloquée.

Selon Philippe Bolopion, directeur des relations avec l'ONU de Human Rights Watch, à New York, le gouvernement syrien comme les forces de l'opposition bloquent l'aide humanitaire dans le but de nuire aux populations. «Or, il incombe bien sûr au gouvernement de veiller à ce que l'aide atteigne les citoyens», dit-il en entrevue.

Des membres du Conseil de sécurité semblent peu enclins à faire pression sur le gouvernement de Bachar al-Assad avant les pourparlers de paix, prévus à Genève, le 22 janvier, dit-il. «Malheureusement, on parle d'attendre le début de cette conférence [...] Notre point de vue, c'est que la situation désespérée des gens sur le terrain, aujourd'hui, devrait guider les actions. Il faut une intervention immédiate», note M. Bolopion.

«Jours difficiles à prévoir»

La Dre Joanne Liu, qui est devenue présidente internationale de MSF le 1er octobre, a passé 10 jours dans la région d'Alep, dans une zone contrôlée par les rebelles opposée à Bachar al-Assad. «On voit que l'infrastructure médicale est en train de se dégrader en Syrie, dit-elle en entrevue depuis Londres. J'ai vu des gens diabétiques dont les médicaments étaient périmés. Les gens n'osent pas sortir pour aller voir leur médecin. C'est trop dangereux.»

La guerre en Syrie, dit-elle, s'est politisée sur la scène internationale, au point que le sort de la population est occulté. «L'hiver arrive, et l'approvisionnement dans les pays limitrophes est de plus en plus ardu. Des jours difficiles sont à prévoir.»

Hier, Valerie Amos, secrétaire général adjoint pour les Affaires humanitaires de l'ONU, a demandé au Conseil de sécurité de faire pression sur le gouvernement syrien pour qu'il permette à l'aide humanitaire d'atteindre les citoyens dans les zones assiégées du pays.

«La brutalité de ce conflit est inacceptable. Même les guerres ont des règles. Dans ce conflit, les règles ne sont pas respectées. Tenir les citoyens en otages n'est pas acceptable», a dit Mme Amos dans la rencontre à huis clos, selon l'AFP.

Une compilation menée par l'Observatoire syrien pour les droits de l'homme révèle que près de 126 000 personnes ont été tuées depuis 30 mois dans la guerre en Syrie, un bilan désormais plus lourd que celui de la guerre en Bosnie, dans les années 90. Selon ce nouveau rapport, au moins 125 835 personnes ont été tuées, dont le tiers sont des civils. La semaine dernière, l'organisation britannique Oxford Research Group avait relevé qu'au moins 11 420 enfants ont été tués en Syrie depuis 30 mois.