Le rapport de l'ONU l'a confirmé hier: du gaz sarin a été employé massivement en Syrie, et il a été largué par des missiles sophistiqués. Les États-Unis et la France se sont empressés d'y voir une preuve de culpabilité du régime de Bachar al-Assad, pendant que des experts servaient un avertissement: la question des armes chimiques ne doit pas éclipser l'ensemble de la guerre civile qui ravage le pays.

Une preuve de culpabilité d'Assad?

Du gaz sarin a été employé à «relativement grande échelle» le 21 août en Syrie. Il a été catapulté par des missiles sol-sol sophistiqués dans ce qui représente la plus importante attaque chimique à être confirmée depuis celle de 1988 en Irak. Voilà ce qu'a révélé hier le rapport tant attendu des Nations-Unies. Le secrétaire général Ban Ki-moon a parlé de «crime de guerre», tandis que Washington et Paris se sont empressés d'affirmer que seul le régime du président Bachar al-Assad possédait des missiles sol-sol et pouvait organiser une telle attaque. L'ONU a affirmé que la communauté internationale a «la responsabilité morale d'exiger des comptes des responsables»... tout en se gardant bien d'identifier ces responsables. Selon David Pollock, associé au Washington Institute, Moscou ne se prononcera pas devant ces nouvelles "preuves" et ignorera tout simplement la question de savoir qui a déclenché les attaques.

La valse américano-russe se poursuit

Après être s'être concertés samedi sur la nécessité de démanteler l'arsenal chimique de Bachar al-Assad, la Russie et les États-Unis ne s'entendaient pas, hier, sur la signification de leur accord. Le secrétaire d'État américain John Kerry a réitéré qu'il fallait des "conséquences" si le président syrien ne collaborait pas, alors que Moscou s'oppose encore à tout recours à la force. «Cet accord est en train de devenir un obstacle», dit Houchang Hassan-Yari, spécialiste du Moyen-Orient au Collège militaire royal du Canada. L'expert rappelle que le Conseil de sécurité de l'ONU doit adopter une résolution visant à soutenir l'élimination des armes chimiques, mais qu'il est aussi paralysé qu'avant. «Je crois que cet accord a une valeur réelle, dit au contraire David Pollock, du Washington Institute. Il crée une certaine coopération entre la Russie et les autres pays sur la question syrienne, ce que nous n'avions pas vu jusqu'à maintenant. Et il créera, peut-être, des tensions entre la Russie et Assad lui-même.»

Au-delà des armes chimiques

Selon David Pollock, expert au Washington Institute, la question des armes chimiques est en train de prendre trop de place sur la scène internationale. «Les armes chimiques, d'une certaine façon, sont déjà neutralisées. Je serais très surpris qu'Assad les utilise à nouveau dans le contexte actuel. Pendant qu'on discute de ça, la guerre civile continue», rappelle-t-il. Selon lui, Assad et la Russie se servent des armes chimiques comme un magicien qui attire l'attention du public sur quelque chose dans le but de manoeuvrer ailleurs à son insu. «Les armes chimiques ont tué un peu plus d'un millier de personnes. Les autres armes en ont tué 100 000. L'attention s'est concentrée sur un aspect très pointu de la crise, et je crois que ça fait l'affaire de Damas et de Moscou. Ils vont peut-être sacrifier cette carte, mais dans le but de gagner avec les autres qu'ils ont en main», explique-t-il.

Hélicoptère abattu et tensions régionales

La Turquie a annoncé hier qu'elle avait abattu un hélicoptère syrien qui avait violé son espace aérien, rappelant la dimension régionale du conflit. Les autorités turques disent avoir averti le pilote «de manière répétée» qu'il se trouvait en territoire turc, sans réaction de sa part. Des missiles tirés par des avions ont alors abattu l'hélicoptère. En 2012, l'armée syrienne avait abattu un avion turc, ce qui avait créé bien des tensions entre les deux pays. Selon l'expert David Pollock, des pays comme la Turquie, l'Arabie saoudite et les pays du golfe Persique - comme le Qatar - sont actuellement déçus de voir les États-Unis reculer sur une intervention immédiate contre la Syrie. Israël, au contraire, serait soulagé, craignant les conséquences indirectes d'une telle attaque sur son territoire.