La volonté du chef de l'opposition syrienne de structurer les rebelles au sein d'une «Armée nationale» enrage les jihadistes y voyant une volonté de les marginaliser et suscite des critiques d'opposants jugeant le moment inopportun.

Le plan, annoncé la semaine dernière par Ahmad Jarba, le dirigeant de l'opposition au régime de Damas, prévoit de maintenir à son poste Sélim Idriss, l'actuel chef d'état-major de l'Armée syrienne libre (ASL). Celle-ci représente la rébellion dite modérée, appuyée par des pays arabes et occidentaux.

Dans un entretien lundi, M. Jarba a affirmé que cette nouvelle structure est nécessaire pour combattre les forces d'élite loyales à Bachar al-Assad et qu'elle sera la colonne vertébrale d'une future armée.

«Nous en avons besoin pour qu'elle soit la base de la nouvelle armée. Elle possèdera une défense aérienne, des tanks, des unités de soutien logistique et médicales», a-t-il précisé.

La révolte pacifique lancée contre M. Assad en mars 2011 s'est transformée après des mois de répression en une rébellion armée à laquelle se sont ralliés déserteurs, civils ayant pris les armes, mais aussi des jihadistes, dont beaucoup d'étrangers.

Les groupes rebelles ont différentes allégeances et sont en rivalité pour les armes, les munitions et l'argent qui arrivent de façon irrégulière, selon la bonne volonté des parraineurs.

Pour Hadi al-Bahra, membre de l'opposition et proche de M. Jarba, le plan «vise à améliorer la structure, les performances, la discipline et les communications entre les différentes factions».

Il reconnaît également la nécessité de combattre l'idéologie islamiste radicale. «Il doit y avoir un rejet clair et total de la pensée extrémiste et de toute action qui porte atteinte aux civils sur une base ethnique ou religieuse», a-t-il affirmé à l'AFP.

Sur le terrain, des rebelles, qui critiquent déjà l'inefficacité de cette opposition basée à l'étranger, considèrent ce projet comme peu pertinent et stérile.

Mais pour les jihadistes, il s'agit d'un projet élaboré par les Occidentaux et l'Arabie saoudite pour retourner les rebelles syriens contre eux, à l'image de ce qui s'était produit en 2006 en Irak, avec les Sahwa, une milice constituée par les tribus sunnites et financée par les États-Unis.

«Nous nous opposerons à tout nouveau projet Sahwa», écrit un contributeur d'un site jihadiste qui qualifie Jarba et Idriss de «traitres du Levant et de l'islam».

D'autres rebelles estiment que la mise sur pied d'une Armée nationale, qui soit distincte des jihadistes, vise à convaincre l'Occident, jusqu'à présent très réticent, de fournir des armes directement aux rebelles.

Mais les analystes expriment des doutes sur la possibilité de mener à bien un tel projet de réorganisation du noyau central de la rébellion.

Selon Aron Lund, un expert des mouvements islamistes et de la révolution syrienne, le conflit est devenu si éclaté qu'il est difficile de réorganiser les rebelles et de séparer les modérés des extrémistes.

«Beaucoup de grands groupes qui répondent aux ordres de Selim Idriss, par exemple Liwa al-Tawhid, ont affirmé que même s'ils ne partageaient pas l'idéologie de l'État islamique d'Irak et du Levant (affilié à al-Qaïda), ils n'étaient pas intéressés à le combattre», a ajouté Aron Lund.

En outre d'autres groupes, comme le puissant Ahrar al-Cham, qui n'appartiennent pas à l'ASL, ont fustigé ce projet qu'ils qualifient d'«occidentalo-saoudien».

«Le commandement général (de l'ASL dirigé par Sélim Idriss) est un échec patent sur le terrain. Tous ont des relations avec lui pour obtenir des munitions et des armes, mais quand les choses deviennent sérieuses, personne ne l'écoute», a assuré à l'AFP un responsable de cette organisation qui a refusé d'être identifié.

D'autres militants, opposés tant aux jihadistes qu'à la Coalition, considèrent que le moment pour faire cette proposition est malvenu et représente une diversion par rapport à l'objectif principal: la chute d'Assad.

Ils voient dans ce projet la main de l'Arabie saoudite qui a pris l'ascendant sur le Qatar et la Turquie dans l'opposition syrienne et a poussé son poulain Ahmad Jarba.

Ainsi, le prince Bandar ben Sultan, l'influent chef des services de renseignement saoudiens, avait affirmé le 31 juillet au président Vladimir Poutine que «quel que soit le régime» qui succèderait à celui de M. Assad, il serait «entièrement» entre les mains des Saoudiens.

«Cette idée d'(Armée nationale) est dangereuse et cela ne marchera pas. Ce ne sont pas les extrémistes que nous devons combattre maintenant, mais le régime», a assuré un membre de la Coalition.