Une cinquantaine de personnes ont été blessées hier dans un attentat dans une banlieue chiite de Beyrouth, au Liban. La crise qui fait rage en Syrie semble désormais déborder jusqu'au Liban, où le Hezbollah appuie les troupes du président syrien Bachar al-Assad. Jusqu'où ira la contagion? La Presse a interrogé un expert du monde arabe, Henri Habib, professeur émérite au département de sciences politiques à l'Université Concordia.

Q: L'attentat d'hier est-il une preuve supplémentaire du glissement du conflit syrien au Liban ?

R: Assurément, d'autant plus que le conflit syrien n'est plus un conflit local. C'est aussi un conflit régional et aussi international. Il y a trois niveaux à ce conflit.

Q: Le Hezbollah semble avoir été pris pour cible. Par qui? Quelle est la signification de cet attentat ?

R: On commence à le réaliser, c'est un conflit entre la partie sunnite et la partie chiite de l'islam. Ce conflit a débuté en 2003 quand les États-Unis ont envahi l'Irak. Et petit à petit, c'est devenu un conflit entre les pays sunnites avec l'Arabie saoudite en tête, contre l'Iran qui représente les pays chiites.

Q: Pourquoi le Hezbollah a-t-il décidé d'appuyer le président syrien Bachar al-Assad ?

R: C'est complètement normal que le Hezbollah appuie le président Assad, qui représente une secte proche des chiites. Il faut dire aussi que les rebelles syriens ont l'appui des sunnites qui viennent de loin, de l'Afghanistan, de la Libye, de la Russie. Ça démontre vraiment que ce n'est plus simplement un conflit local. Le Hezbollah est inquiet et veut protéger ses intérêts dans la région alors que les sunnites veulent renverser le président syrien.

Q: À quel point ce soutien est-il important pour le président syrien ?

R: C'est un soutien très important. Le Hezbollah est un groupe très bien entraîné, qui a des possibilités militaires qui sont supérieures à beaucoup d'autres mouvements. C'est un appui fondamental qui pourrait vraiment renverser la tendance et maintenir le président syrien au pouvoir.

Q: Quelles seraient les conséquences au Liban d'une éventuelle victoire des rebelles en Syrie ? Et si les troupes du président Assad en sortaient victorieuses ?

R: Je ne pense pas qu'il y aura une victoire d'une partie ou d'une autre. Je ne crois pas qu'il y aura une victoire militaire. Il risque d'y avoir un maintien de ce chaos. En fait, les conséquences vont être déterminées par les deux grandes puissances que sont les États-Unis et la Russie. Si jamais les Américains et les Russes décidaient de régler l'affaire syrienne diplomatiquement, ça veut dire que ni l'un ni l'autre ne serait le vainqueur.

Q: Les élections qui devaient se tenir en juin ont été reportées en 2014 au Liban, entre autres en raison du conflit syrien. Quelles pourraient être les conséquences de cette »instabilité« politique pour le pays ?

R: Je pense que la décision était bonne de remettre cette élection, qui n'aurait pas été viable. Ça veut dire que ça aurait été une élection qui aurait reflété ce conflit et ça ne serait pas bon pour le Liban, qui a suffisamment souffert. Ç'a été une décision sage. On espère que d'ici 18 mois, on pourra peut-être trouver une solution diplomatique. Et je dirais que c'est une solution diplomatique qu'il faut, mais il faut avoir des gens de bonne foi des deux côtés. Ça dépendra beaucoup des Américains et des Russes. Mais la décision du président Obama d'armer les rebelles a fait en sorte de nous éloigner d'une solution diplomatique. Et on a continuellement reporté une conférence internationale sur la question. Là, on ne sait plus quand elle va avoir lieu. Et il faut que l'Iran participe à cette conférence. On ne peut pas ignorer l'Iran comme les pays occidentaux le souhaitent.

LES SUNNITES

Ils sont majoritaires dans l'Islam. On les retrouve notamment en Afrique du Nord, en Libye, en Égypte et en Arabie saoudite.

LES CHIITES

C'est la principale branche dissidente de l'islam qui compte de 10 à 15% des musulmans. En Iran, ils représentent 90% de la population.