Le conflit en Syrie arrive peut-être à un tournant. Au cours des 48 dernières heures, Washington a accusé le gouvernement de Damas d'utiliser des missiles Scud contre les rebelles syriens, une escalade militaire «désespérée» selon le département d'État, tandis que Moscou a reconnu pour la première fois la possibilité d'une victoire de l'insurrection contre le régime de Bachar al-Assad. Si cette victoire se concrétise prochainement, Glenn Robinson, professeur à l'École navale supérieure de Monterrey, en Californie, n'applaudira pas, même s'il n'a rien de positif à dire sur le président syrien. La Presse s'est entretenue hier avec ce spécialiste du Moyen-Orient qui vient de signer dans la revue Current History un texte sur la «longue guerre civile syrienne».

Q Vous redoutez une victoire claire et nette des rebelles syriens. Pourquoi?

R Les gens qui sont aussi enthousiasmés par la perspective de l'arrivée au pouvoir de l'opposition syrienne que plusieurs l'étaient par le renversement du régime d'Hosni Moubarak par l'opposition égyptienne devraient prendre du recul et faire attention à ce qu'ils souhaitent. Car cette opposition est nettement pire, du moins certains de ses éléments, que ce que nous avons vu en Tunisie, en Égypte et en Libye.

Q Faites-vous surtout référence aux djihadistes étrangers et aux combattants d'al-Nosra, un groupe placé mardi par les États-Unis sur leur liste des organisations terroristes?

R Il y a certes des djihadistes étrangers en Syrie, mais ils ne forment qu'une mince partie de l'insurrection. Je pense que les gens ont tendance à exagérer l'importance des djihadistes étrangers. Mon opinion est que la Syrie a beaucoup de djihadistes et d'islamistes radicaux nés sur son sol. L'histoire de ces extrémistes remonte au dernier chapitre de la longue guerre civile du pays et précède la création d'un groupe comme al-Nosra.

Q Parlez-vous des Frères musulmans syriens?

R Oui, ils forment aujourd'hui la force politique la plus cohérente de l'opposition syrienne. Et ce que j'essaie de faire comprendre aux gens, c'est que ces Frères musulmans sont très différents des Frères musulmans que l'on voit en Afrique du Nord, en Jordanie ou ailleurs. En Syrie, ils vivent comme si le temps s'était arrêté en 1982, l'année où ils ont perdu leur dernière bataille dans la longue guerre civile syrienne. Ils n'ont pas évolué, ils ne se sont pas renouvelés, ils ont les mêmes objectifs qu'en 1982.

Q Quelles sont les relations des États-Unis avec les Frères musulmans syriens, qui font partie de la coalition nationale dont ils viennent de reconnaître la légitimité?

R Les États-Unis ont des contacts avec les dirigeants des Frères musulmans qui se sont exilés à Londres ou à Paris depuis 1982. Mais tout indique que ces expatriés n'ont aucun contrôle sur les combattants syriens qui se réclament de la tradition des Frères musulmans. Ceux-là exercent le vrai pouvoir dans les rues, les villages, les villes de Syrie.

Q Qu'arriverait-il si les rebelles remportaient une victoire décisive sur le régime du président syrien?

R La première chose à craindre serait un nettoyage ethnique ciblant la communauté alaouite dont est issu Bachar al-Assad. L'autre question humanitaire qui surgirait rapidement est une grande crise de réfugiés touchant la communauté chrétienne, dont les membres ont déjà commencé à prendre le chemin du Liban. Et il y aurait ensuite pendant une longue période le genre de violences quotidiennes que connaît l'Irak depuis la fin de sa guerre civile.

Q Y a-t-il une solution meilleure à une autre au conflit syrien?

R La meilleure solution demeure une solution négociée. Mais ce sera difficile. Il ne faut pas oublier que le régime de Bachar al-Assad pourrait très bien survivre à son départ. Ce régime continue d'avoir l'appui du quart ou du tiers de la population. Il est bien armé et il a de l'argent. Ce sera laid, quoi qu'il arrive.