Le 5 août, alors que le soleil écrasait Alep, Jumaa, 20 ans, patrouillait avec 150 soldats de l'Armée syrienne libre (ASL). Au détour d'une rue, sa troupe est tombée sur une milice du gouvernement Bachar al-Assad. Ils étaient 200. Contre 150. Deux ennemis jurés face à face dans une guerre civile de plus en plus sanglante.

Les hommes de l'ASL ont réussi à fuir, sauf une poignée, dont Jumaa. Il s'est retrouvé entre les milices d'al-Assad et des tireurs embusqués prêts à lui tirer une balle dans la tête s'il bougeait.

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Il était mal équipé: pas de gilet pare-balles ni de casque. Un jeans et un t-shirt, rien de plus. Comme armes, une vieille kalachnikov, des balles en bandoulière et deux grenades.

Les hommes d'al-Assad lui ont tiré dessus. Il a reçu une balle dans le pied, qui est ressortie par le ventre. Une deuxième a traversé son autre pied et s'est rendue jusqu'à son épaule. La première balle a ravagé ses intestins.

Hier, il était étendu sur un lit dans une clinique à Azaz, petite ville située à une cinquantaine de kilomètres d'Alep. Son visage était pâle, exsangue, ses traits tirés. Une barbe de quelques semaines mangeait ses joues. Jumaa était couché sur une couverture de laine dans une chambre minimaliste. L'hôpital fonctionne avec des moyens de fortune.

Le médecin a interrompu Jumaa au milieu de son récit. Il devait insérer un tube dans son ventre couvert de points de suture. Avec des ciseaux, il a soulevé la peau et fourragé pour essayer de faire sortir le tube quelques pouces plus bas. Jumaa a gémi, stoïque. Il n'osait pas se tordre de douleur. Son visage a blêmi quand le médecin s'est acharné sur le petit bout de plastique. Quelques mouches survolaient la plaie. L'intervention s'est faite à froid. L'hôpital manque de tout.

Quand le médecin est sorti après avoir posé un pansement sur le ventre douloureux de son patient, Jumaa a poursuivi son histoire. Il est tombé sous les balles des milices, qui l'ont abandonné dans la rue. Ses camarades sont revenus le chercher et l'ont traîné jusqu'à l'hôpital.

«J'ai vu pire», insiste Jumaa. Il a déjà été arrêté par les hommes de Bachar al-Assad. Il a passé 21 jours en prison.

«Avez-vous été torturé?

- Bien sûr», a-t-il répondu avec une lueur d'incompréhension dans les yeux.

Bachar al-Assad a l'habitude de torturer ses opposants. Jumaa a été battu; on l'a suspendu au plafond par les poignets, qu'on avait d'abord attachés derrière son dos.

Il était accusé d'avoir «protesté publiquement contre le régime, parlé contre le président al-Assad et affaibli l'unité nationale».

Une fois relâché, il est retourné dans la rue au milieu des manifestants, où il a scandé des slogans anti-al-Assad pendant six mois. Puis, il a rejoint les forces de l'ASL. Deux mois plus tard, il s'est retrouvé cloué dans un lit, hagard, fiévreux, les intestins démolis par une balle. À son chevet, sa mère lui jette des regards de louve. Elle ne voulait pas qu'il se batte. Elle a prié pour lui tous les jours. Allah l'a exaucée en partie. Son fils est blessé, mais vivant.

Des éclats de mortier au plafond

Nous avons décidé de squatter un appartement à Azaz, en territoire syrien, plutôt que de retourner en Turquie à la fin de notre journée, comme le font la plupart des journalistes. On voulait éviter l'épuisant aller-retour entre la Syrie et la Turquie, un parcours d'une vingtaine de kilomètres seulement, mais coupé par une frontière tatillonne et un long no man's land qu'on devait parcourir à pied en montrant notre passeport à tous les 200 m.



Nous habitons au troisième étage d'un immeuble qui a déjà été canardé par les soldats du gouvernement al-Assad. Sur les murs et le plafond du salon, des éclats de mortier. Il n'y a plus de porte - elle a volé en éclats. Trois pièces, des matelas jetés par terre, une connexion internet qui va et vient, comme l'électricité. Dans ce minuscule trois-pièces, une journaliste italienne, Édouard, le photographe de La Presse, et trois ou quatre membres de l'Armée syrienne libre, des hommes jeunes, la vingtaine à tout casser, tous habillés de la même façon: jeans, t-shirt, souliers de course.

Du balcon, on aperçoit quelques immeubles d'habitation plantés ici et là dans un paysage sec et un terrain vague jonché de détritus où jouent les enfants. À part une roquette ou deux qui s'égarent dans la ville en faisant un bruit sourd, la vie est tranquille, à Azaz.

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE

Dans un minuscule trois-pièces au troisième étage d'un immeuble bombardé par les soldats du gouvernement, des matelas jetés par terre, une connexion internet qui va et vient, comme l'électricité, quelques journalistes et trois ou quatre membres de l'Armée syrienne libre.