Depuis jeudi, près de 18 000 personnes ont franchi la frontière libanaise pour fuir les combats dans Damas et ses banlieues. Certains ont accepté de raconter leur calvaire à notre collaborateur.

Il est midi, le soleil tape fort sur le bitume. Une file de taxis syriens jaune et blanc, de minibus et de voitures forment un embouteillage entre deux points de contrôle dressés par l'armée libanaise. Sur les toits, dans les coffres, des valises qui s'entassent, ficelées à la va-vite, quelques matelas et des couvertures.

Nous sommes au point de passage de Masnaa, à une trentaine de minutes en voiture de Damas. Les familles ne sont pas de simples touristes: depuis cinq jours, près de 18 000 personnes ont fui les combats de la capitale syrienne, selon les Nations unies. Les départs ont eu lieu surtout après l'attentat contre le bâtiment de la Sécurité nationale à Damas, et ont ralenti depuis le week-end dernier.

Dans le stationnement où les familles attendent de finir les formalités, la tension plane: plusieurs s'esquivent quand nous leur posons des questions. «Nous partons changer d'air et faire du magasinage au Liban. Il ne faut pas écouter les mensonges que racontent Al Jazira et Al Arabiya sur les combats», s'exclame une jeune femme, depuis sa voiture aux vitres teintées.

«La fumée à Damas, ce sont des jeunes qui brûlent des pneus à Kfar Sousse [quartier de la banlieue de Damas proche des rebelles]», lance, agacé, un autre homme d'une quarantaine d'années. Une petite croix pend au rétroviseur de son véhicule tout-terrain. Une bonne partie des personnes qui fuient la région de Damas appartient à la classe moyenne ou aisée, et affiche son soutien à Bachar Al-Assad. Leurs voitures - et les domestiques qui parfois les accompagnent - laissent deviner un certain train de vie.

Quelques personnes acceptent toutefois de raconter la situation sur place, même si le lieu se prête mal aux confidences. Des agents de change aux airs de mukhabarat (services secrets) tendent l'oreille.

« Les gens dorment dans des caves »

Mona, une maman accompagnée de ses deux filles, raconte, la voix pâle: «Les combats n'ont pas atteint notre quartier, mais psychologiquement, c'est devenu très difficile, on ne peut faire confiance à personne. Il y a de la fumée noire qui s'élève du quartier de Mazzé, les bruits des bombardements nuit et jour, des barrages à tous les carrefours où les hommes sont contrôlés par l'armée.»

La famille ne sait pas encore où loger au Liban, probablement dans un hôtel pour les premiers jours. «Nous allons rester toute la durée du ramadan au Liban, et si la situation s'améliore, nous retournerons à Damas dans un mois.»

Un peu plus loin, Omar, chauffeur de taxi en Syrie, prend une pause avec sa famille, avant de filer vers la plaine de la Bekaa. Il habite tout près de Midane, un quartier de Damas brièvement dominé par les rebelles de l'Armée syrienne libre, avant d'être repris par l'armée régulière. Il insiste pour vérifier que nous ne cachons pas de caméra.

«La plupart des habitants de Midane sont partis, les magasins sont fermés, il n'y a pas d'électricité, personne dans les rues après 19h. Les derniers jours, on avait couvert les vitres avec des draps pour ne pas être touchés par des éclats de balles. À Kfar Sousse, les gens dorment depuis trois jours dans des caves», affirme-t-il.

Quand on lui parle d'avenir, Omar lève les yeux au ciel. «Il faudra plus de 10 ans à la Syrie pour se remettre de cette période noire.»