L'Alliance des forces démocrates est en passe de remporter les élections du Congrès national en Libye, et semble du coup freiner la vague islamiste qui a déferlé sur la Tunisie et l'Égypte. Le chef de l'Alliance, Mahmoud Jibril, sort de cette première campagne électorale depuis plus de 50 ans en grand vainqueur. L'homme a su jouer de ses nombreuses facettes pour attiser sa popularité. Portrait.

Considéré comme libéral par les Occidentaux, religieux modéré et révolutionnaire par les Libyens ou encore de partisan de l'égalité Est-Ouest par les habitants de Benghazi et de ses alentours, le totem de Mahmoud Jibril pourrait être le caméléon. Quels que soient ses interlocuteurs, l'homme de 60 ans arrive à être celui qu'on veut qu'il soit.

Depuis samedi, son nom est sur toutes les lèvres en Libye. À commencer par celles des électeurs. «Quand on leur tendait les bulletins de vote, ceux qui ne savaient pas lire n'avaient qu'une question: «Où cocher pour le parti de Mahmoud Jibril? «», explique un président de bureau de vote à Tripoli. Une gageure quand on sait que l'ancien professeur en planification stratégique de l'Université de Pittsburgh n'était même pas candidat à l'un des 200 sièges du Congrès national.

Pourtant, c'est bien son visage que l'Alliance des forces nationales (AFN) a mis en avant sur ses affiches installées un peu partout dans les villes. Le meilleur moyen de «vendre» cette coalition d'une soixantaine de partis politiques. La stratégie se révèle payante. À Zliten, par exemple, sur 75% de votes dépouillés, l'AFN obtient 19 273 voix, contre seulement 5626 pour son dauphin, le Parti de la justice et du développement (PJD, proche des Frères musulmans).

L'effet Jibril

Pour les Libyens, Mahmoud Jibril, c'est d'abord l'homme de la révolution. Dès le 23 mars 2011, il est nommé président du conseil exécutif et responsable des affaires internationales du Conseil national de transition (CNT). Concrètement, c'est lui qui se charge de ramener les armes aux rebelles en faisant le tour des capitales occidentales acquises à sa cause. «Jibril, le monde entier le connaît», avance avec fierté Mohamed, chauffeur de taxi.

Les Libyens lui sont reconnaissants d'avoir redonné une bonne image de leur pays à l'international. Sa participation active à la révolution a même éclipsé sa compromission avec le régime de Mouammar Kadhafi: de 2007 à 2010, il était le responsable du Bureau du développement économique national.

Montrant du doigt ses bonnes relations avec les pays occidentaux, les plus radicaux ont tenté de détourner les électeurs du vote AFN. «Voter pour un candidat laïque, c'est commettre un péché», a expliqué le cheikh Sadok El Gheriani avant les élections. Un argument qui n'a pas porté. Et pour cause. Mahmoud Jibril, comme son mouvement, a toujours refusé l'étiquette de libéral. «Nous considérons que la charia [loi islamique] doit être la référence de notre constitution, a-t-il martelé devant la presse dimanche soir. Et je refuse le qualificatif de libéral donné par la presse internationale. Je ne suis ni un gauchiste ni un partisan du sécularisme.»

Constitution de consensus

Très habilement, sitôt les premiers résultats positifs tombés, Mahmoud Jibril appelle à l'union nationale pour établir une constitution de consensus. Devant cette main tendue, les islamistes se montrent embarrassés.

Même à l'est, où les autonomistes se font entendre, Mahmoud Jibril, pourtant issu de la tribu dominante des Warfallas et Tripolitain d'adoption, est populaire. Il promeut une discussion sur un pied d'égalité entre l'Est et l'Ouest. Hicham, originaire de Benghazi, ville la plus importante de l'Est, veut y croire: «Jibril est malin, mais il veut vraiment reconstruire le pays.»

«Il me fait penser à Napoléon», lance une journaliste après une conférence de presse. Et ce n'est certainement pas seulement à cause de sa petite taille.

ISLAMISTES DE L'ÉTRANGER

Alors qu'ils ont fait bonne figure lors des premières élections postrévolutionnaires en Tunisie et en Égypte, les islamistes ont eu plus de difficulté à convaincre les électeurs libyens de leur accorder leur voix.

Dans le pays d'Afrique du Nord, les islamistes sont souvent perçus comme le parti de l'étranger.

Le Parti de la justice et du développement est considéré comme un satellite des Frères musulmans égyptiens même si ses membres s'en défendent. El-Wattan, de l'ex-djihadiste Abdelhakim Belhadj, est surnommé le parti du Qatar par la rue à cause des origines douteuses de son financement.