Mohamed Nabwy est convaincu que l'armée égyptienne a fait précisément ce qu'elle devait faire le jour où elle a lancé son assaut contre deux rassemblements de partisans du président destitué Mohamed Morsi. Même si cette double offensive a coûté la vie à plus de 600 personnes.

«L'Égypte est en guerre contre le terrorisme, et bientôt, nous gagnerons cette guerre.»

Jeans, t-shirt, lunettes sans monture, Mohamed Nabwy a l'allure d'un étudiant. Mais à 29 ans - et demi, comme il le précise - cet électronicien a déjà une bonne feuille de route derrière lui. En 2011, il a fait partie des jeunes leaders du soulèvement de la place Tahrir.

Et en avril dernier, il a participé à la création de Tamarod, le mouvement de protestation contre le président islamiste Mohamed Morsi. «Tamarod a été fondé par cinq gars. J'étais le sixième», précise-t-il sans fausse modestie.

Hier, Mohamed Nabwy enchaînait les entrevues dans un café du centre-ville du Caire, pour expliquer aux journalistes étrangers le soutien sans faille que Tamarod continue à accorder à l'armée. Comment un mouvement qui défend les libertés peut-il soutenir la répression sanglante qui s'est abattue sur les partisans pro-Morsi, cette semaine?

Pour lui, la question ne se pose pas. Après tout, fait-il remarquer, l'Occident s'est bien lancé dans une guerre contre le terrorisme dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001. «Si vous pensez que les Frères musulmans ne sont pas des terroristes, eh bien, prenez-les donc, avec toutes leurs armes.» C'est parce que l'ex-président Morsi «méprisait les institutions, arrêtait les gens et divisait le peuple», que le noyau de jeunes militants a eu l'idée d'appeler les gens à redescendre dans la rue pour réclamer sa démission.

Point de non-retour

Mohamed Morsi a été élu avec une courte majorité en juin 2012. Cinq mois plus tard, il a semé la consternation en adoptant un décret soustrayant l'assemblée chargée d'écrire la nouvelle Constitution égyptienne à toute autorité judiciaire. Pour plusieurs militants démocrates égyptiens à qui j'ai parlé cette semaine au Caire, ce jour-là, le régime Morsi a dépassé les bornes. Il ouvrait la porte à une islamisation accélérée du pays, hors du contrôle des tribunaux. Pire: si on l'avait laissé faire, l'Égypte aurait pu atteindre un point de non-retour. «Il y avait urgence, ils allaient tout verrouiller. Si on avait attendu les prochaines élections, il aurait été trop tard», souligne l'historien Tewfik Aclimandos.

C'est ce qui a conduit plusieurs partis de l'opposition libérale à fonder le Front de salut national dès le lendemain du décret constitutionnel. Une coalition qui ne s'est pas fait prier pour sauter dans le train de Tamarod, ce printemps.

À partir de là, tout s'est enchaîné très vite. «Notre pétition a récolté plus de 22 millions de signatures», dit Mohamed Nabwy. Le 30 juin, des millions d'Égyptiens sont redescendus dans les rues, demandant à Mohamed Morsi de «dégager.» Trois jours plus tard, l'armée a fait le reste.

Selon Mohamed Nabwey, le Conseil militaire suprême des forces armées a immédiatement contacté Tamarod, mais aussi les leaders religieux du pays pour convenir d'un plan pour la suite des choses. Et il est convaincu que l'armée respectera ce plan et mènera l'Égypte vers de nouvelles élections - cette fois sans les Frères musulmans.

«On ne s'est pas débarrassé de la dictature fasciste des Frères musulmans pour tomber sous la dictature fasciste de l'armée», assure-t-il.

Fissures

Mais certains opposants aux Frères musulmans ont la conscience moins tranquille. La violente dispersion des partisans pro-Morsi a poussé le Prix Nobel de la Paix, Mohamed El Baradei, à quitter le poste de vice-président qu'il occupait depuis le changement de régime du 3 juillet. Depuis, il refuse toute entrevue.

Le porte-parole du Front de salut national, Khaled Dawoud, a claqué la porte de cette coalition, deux jours plus tard.

«J'ai démissionné parce que la majorité des partis de notre coalition n'a pas dénoncé l'usage excessif de la force militaire», explique-t-il pendant notre rencontre, dans un café du chic quartier de Zamalek.

Il critique aussi l'offensive tous azimuts que le nouveau régime a déclenchée contre les Frères musulmans. Il ne fait pas de doute, pour lui, que Mohamed Morsi a abusé de son pouvoir lors de sa brève présidence. Mais de là éradiquer ce mouvement islamiste du paysage politique, il y a un pas. «On ne peut pas revenir aux vieilles stratégies de diabolisation des Frères musulmans, on ne peut pas les éliminer, ils font partie du tissu social égyptien.»

Mais par-dessus tout, il a été horrifié par l'intensité de la violence qui s'est abattue sur les manifestants. Tuer 600 personnes pour mettre fin à un mouvement de protestation, «ce n'est pas le genre de pays auquel je veux appartenir».

Mais de nombreux Égyptiens croisés ces jours-ci au Caire ne s'embarrassent pas de ce genre de scrupules. Pharmaciens, commerçants, chauffeurs de taxi m'ont tour à tour exprimé leur admiration pour l'armée qui se bat contre un mouvement "terroriste". Et leur désarroi devant les condamnations de la communauté internationale. Désarroi qu'un serveur de mon hôtel a résumé comme suit: «Je ne comprends pas pourquoi Barack Obama soutient les islamistes.»

DEUX CAMPS, DEUX CÔTÉS D'UNE MÊME MÉDAILLE

Les manifestants pro-Morsi ne sont pas des enfants de choeur, mais les forces de sécurité égyptienne ont «échoué à freiner la violence», dénonce Daiana el Tawany, chercheuse pour Amnistie Internationale en Égypte.

Depuis mercredi dernier, la répression a atteint un niveau inégalé, selon elle : en trois jours, il y a eu presque autant de victimes que durant les 18 jours du soulèvement de 2011. Les Frères musulmans ont réagi en attaquant des postes de police, des immeubles gouvernementaux et des églises, et même en tirant sur des quartiers résidentiels. C'est l'escalade.

D'autres organisations de défense des droits abondent dans ce sens. «Nous croyons que l'appareil sécuritaire aurait pu éviter cette tragédie humaine», affirme l'Initiative égyptienne pour les droits individuels, un regroupement d'ONG de droits de l'homme, qui reconnaît que les manifestants pro-Morsi n'étaient pas tous pacifiques. Sauf que la présence de manifestants armés ne justifie pas, selon lui, une «punition collective» d'une telle ampleur.