«Le peuple veut la chute du régime.» Les dizaines de milliers de manifestants qui ont hué Hosni Moubarak, hier, ont forcé le pouvoir à agir: le chef d'État de 82 ans a annoncé la formation d'un nouveau gouvernement. Cette concession apaisera-t-elle la vague de contestation qui déferle sur l'Égypte depuis quelques jours? Rien n'est moins sûr. Au Caire, notre collaboratrice a pris le pouls de la grogne populaire.

Hosni Moubarak lâche du lest. Face à l'ampleur des manifestations, un nouveau gouvernement sera formé aujourd'hui et des réformes sociales et économiques seront adoptées, foi du président égyptien, qui s'est exprimé la nuit dernière à la télévision. Du même souffle, il défend la répression exercée par les forces de sécurité pour contenir la mobilisation populaire sans précédent au cours de ses 30 années au pouvoir.

«La violence ne solutionnera pas les problèmes auxquels nous faisons face et ne nous aidera pas à atteindre les objectifs que nous visons», soutient le président Moubarak, qui accuse ses détracteurs de vouloir déstabiliser le pays.

À Washington, le président Barack Obama a exhorté hier soir son homologue égyptien à respecter ses promesses et a lancé un appel au calme à l'intention du régime et des manifestants.

Le message livré par Hosni Moubarak, 82 ans, ne répond toutefois pas aux doléances des protestataires: ils ont appelé à sa chute aux quatre coins du pays, en ce «jour de la colère» qui s'est soldé par la mort d'au moins 18 personnes, selon la BBC.

Dès hier matin, les Cairotes étaient au rendez-vous, à la fin de la grande prière. Et ils étaient prêts. «Nous, le 25 janvier (premier jour de la manifestation), nous ne sommes pas descendus dans la rue, nous n'y croyions pas, mais aujourd'hui nous sommes là et nous sommes déterminés», dit Inef, jeune de femme de 22 ans venue avec toute sa famille. «Je me sens très fière. D'habitude, je ne manifeste pas, mais là, il est grand temps que ça change. On demande ça depuis des années», poursuit-elle, les yeux brillants d'enthousiasme.

»Moubarak, dégage!»

À Mohandessine, quartier de l'ouest du Caire, plusieurs centaines de personnes se sont retrouvées autour de la mosquée Mustafa Mahmoud malgré le couvre-feu décrété par les autorités égyptiennes. Depuis vendredi à minuit, les téléphones portables comme l'internet sont coupés, une mesure destinée à empêcher les rassemblements massifs. «As salam aleikoum... Allah.» À peine l'imam a-t-il fini de prononcer la prière que tous les fidèles agenouillés se lèvent comme un seul homme. «Le peuple veut le son du changement! Moubarak, dégage!» clament-ils d'une seule voix, le poing levé.

«Nous protestons contre le président. Il est au pouvoir depuis près de 30 ans et nous vivons une vie de misère depuis qu'il est là. Nous subissons l'injustice sociale, les brutalités policières... Nous voulons qu'il parte, nous voulons mieux pour notre pays», dit Riyad, 28 ans, cadre chez un fournisseur internet. Issu de la classe moyenne, le jeune homme est plutôt privilégié. Il le sait et se sent solidaire. «Nous voulons tous le meilleur pour nos enfants. C'est maintenant ou jamais. Nous n'aurons peut-être pas la chance de revivre ça», a-t-il assuré en brandissant sa pancarte sur laquelle il était écrit «Du changement, de la liberté.»

La foule avance déterminée, bigarrée, sur les larges artères du Caire. Direction: le palais Abdine, ancien lieu de résidence des rois et des présidents. La police laisse faire. «Je ne crois pas ce que je vois», souffle Nizar, jeune homme d'une vingtaine d'années. «Des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux, des riches, des pauvres, des personnalités publiques... Tout le monde est là pour protester de manière pacifique. C'est très enthousiasmant!»

Parmi les manifestants: Mohamed ElBaradei, ex-chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique, qui aurait par la suite été assigné à résidence, selon l'Associated Press, citant les autorités égyptiennes.

Couvre-feu

La marche tourne vite à l'affrontement. Vers 14h, les forces de sécurité s'interposent. Ça commence par une pluie de grenades lacrymogènes. La place est noyée de fumée blanche. Les manifestants pleurent, toussent, crachent. La violence gagne en intensité. Les policiers tirent des balles en caoutchouc. Des dizaines de blessés s'extraient de la foule, la tête ensanglantée, le corps et les jambes criblés de petites balles en plastique. «Regarde! Ce sont des brutes! Les policiers m'ont battu avec leurs bâtons. On arrivait en paix! On veut la liberté! Pourquoi m'ont-ils battu? Je ne comprends pas!» s'alarme Hany, le visage en sang.

Au crépuscule, les détonations ont résonné de partout au Caire. La situation était particulièrement chaotique dans le centre-ville. La police était parfois acculée à fuir les manifestants. Ils grimpent sur les camions antiémeute. Sur la corniche, le long du Nil, les protestataires ont mis le feu au siège du Parti national démocrate (PND), formation d'Hosni Moubarak. Ils ont visé ensuite la maison de la radio et la télévision nationale. Un couvre-feu a été déclaré et les chars se déploient dans la capitale.

En soirée, des soldats faisaient le «V» de la victoire aux milliers de manifestants qui ont bravé le couvre-feu et des policiers serraient la main de protestataires, a constaté un journaliste de l'AFP.

La rue aux Égyptiens... C'était encore impensable il y a une semaine. Tout aussi impensable que la révolution du jasmin en Tunisie. Que va-t-il se passer maintenant? Bahaa est confiant. Cet Égyptien de 52 ans est un vieux routier de la contestation. Il était déjà là en 1977 lors des émeutes pour dénoncer l'augmentation du prix du pain, qui avaient failli faire tomber le pouvoir. «On a déjà gagné. Ils coupent l'internet. Ils coupent le téléphone, ils usent de la plus grande violence: c'est sûr, ils font dans leur froc!»

Avec l'AFP, AP, The New York Times et BBC

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SITUATION GÉOGRAPHIQUE

L'Égypte est bordée au nord par la Méditerranée et à l'est par la mer Rouge, a des frontières communes avec Israël à l'est, la Libye à l'ouest et le Soudan au sud.

SUPERFICIE

997 738 km2

POPULATION

83 millions d'habitants, soit le pays le plus peuplé du monde arabe.

CAPITALE

Le Caire (20 millions d'habitants)

RELIGION

Islam sunnite (85%). L'islam est religion d'État. Importante minorité copte (chrétienne) : entre 6 et 10%.

LANGUE OFFICIELLE

Arabe

INSTITUTIONS POLITIQUES

Régime présidentiel, mandat de six ans renouvelable sans limitation. Le pays est dirigé depuis 1981 par le président Hosni Moubarak. Produit intérieur brut : 2270$ par habitant (selon la Banque mondiale, 2009)

FORCES ARMÉES

468 500 hommes (selon l'Institut international des études stratégiques, 2010)

Forces paramilitaires : 397 000