Alors que la Tunisie célèbre la tenue de ses toutes premières élections démocratiques, des membres du richissime clan du président déchu Zine el-Abidine Ben Ali continuent d'être pourchassés à Montréal par des créanciers mécontents.

Pourtant réputé pour sa grande fortune et son train de vie opulent, le gendre de Ben Ali, Sakher El Materi, est accusé de traîner plusieurs factures en souffrance au Canada.

Marié à Nescine Ben Ali, fille de l'ex-président, Sakher El Materi était présenté comme un candidat potentiel à la succession du dictateur. Il a acheté en 2008 une luxueuse maison à flanc de montagne, à Westmount. La résidence, payée 2,5 millions de dollars, jouit d'une vue imprenable sur Montréal.

Insatisfait de l'état des lieux, l'homme d'affaires tunisien a mis en branle d'importants travaux de rénovation.

Il faut dire qu'El Materi est habitué au luxe. «L'opulence dans laquelle vivent El Materi et Nescine et leur comportement rendent claires les raisons pour lesquelles d'autres membres de la famille Ben Ali et eux sont pris en aversion, voire détestés, par certains Tunisiens», précise un câble diplomatique américain publié par WikiLeaks.

L'entreprise Tren-Di-Dekor, qui a fait des travaux de rénovation et de terrassement à la résidence, affirme toutefois qu'elle n'a jamais reçu un paiement de 1,1 million que lui doit El Materi. Elle a entrepris des recours devant les tribunaux et obtenu une hypothèque légale sur la résidence peu après la chute du régime Ben Ali.

Tren-Di-Dekor a ensuite éprouvé de sérieux déboires financiers. Comme elle devait plusieurs dizaines de milliers de dollars au fisc, Revenu Québec a lui-même inscrit une deuxième hypothèque légale sur la résidence tant convoitée, afin de s'assurer de récupérer son dû.

Joint par La Presse, le propriétaire de l'entreprise, Aldo Stabile, n'avait pas le temps de discuter. «Je suis au courant de toute l'histoire. Là, je dois travailler comme ça n'a pas de bon sens, pour récupérer tout cet argent-là», a-t-il laissé tomber.

Dans ce litige, Sakher El Materi est représenté par Me Annie Bernard, du prestigieux cabinet Fasken Martineau. Dans un affidavit, il a dit habiter maintenant au 50, rue Suhaim Bin Hamad, à Doha, au Qatar. Il affirme aussi que sa dernière visite au Canada remonte aux 11 et 12 janvier 2011, en pleine révolution tunisienne.

Le juge Brian Riordan a ordonné que son interrogatoire préalable ait lieu par vidéoconférence «dans des délais raisonnables, considérant la situation politique dans la partie du monde où il habite».

Parallèlement à cette affaire, la société Gaz Métro réclame 2000$ en factures impayées à Sakher El Materi. Son compte personnel, déposé au palais de justice, fait état de factures de gaz qui pouvaient dépasser 700$ en un seul mois, en 2010. Comme numéro de contact, El Materi avait laissé à Gaz Métro un numéro de téléphone cellulaire montréalais qui n'est plus en fonction.

Le Comité de gestion de la taxe scolaire est aussi aux trousses du gendre de Ben Ali, à qui il réclame 6000$ en taxes scolaires impayées.

En mars dernier, Ottawa a adopté une loi sur le blocage des biens des dirigeants corrompus. Sakher El Materi fait partie des personnes visées.

Mais le Collectif tunisien au Canada, groupe militant pour la démocratie, déplore que le gouvernement soit resté silencieux par la suite. «Nous dénonçons le fait que le Canada n'ait pas annoncé de gel d'avoirs pour la Tunisie. Nous voulons savoir s'il y a eu gel et, si oui, comment compte-t-il restituer les biens au peuple tunisien», a expliqué Sonia Djelidi, porte-parole du collectif.

Hier, La Presse a rencontré un mystérieux visiteur qui est allé chercher le courrier et inspecter l'intérieur de la maison à Westmount.

«Il [Sakher El Materi] n'est plus ici. Ça doit être réglé entre la Tunisie et le Canada, il y a des avocats là-dedans», a-t-il déclaré.

«Moi, je ne travaille pour personne», a-t-il ajouté, avant de partir au volant d'un rutilant véhicule utilitaire BMW.

Aux dernières nouvelles, deux autres membres de la famille se trouvaient dans la région de Montréal. Belhassen Trabelsi et sa femme Leila Ben Ali, soeur du président déchu, se sont réfugiés à Montréal après la chute du régime. Le nouveau gouvernement tunisien réclame toujours leur arrestation et leur extradition, comme celle de Sakher El Materi.

Le ministère de la Justice du Canada a affirmé hier qu'il ne peut commenter ces dossiers.