Dans l'ombre de la Syrie et de l'Irak, la Libye sombre chaque jour davantage dans le chaos. Après le bombardement d'un pétrolier grec par l'aviation libyenne, dimanche, et l'incendie de plusieurs réservoirs de pétrole provoqué par un tir de roquette, ces derniers jours, les négociations qui devaient reprendre hier entre les deux gouvernements qui se disputent le pouvoir ont été reportées. Résumé de la situation en six points.

«PIRE QU'UNE GUERRE CIVILE»

«Dans une guerre civile, une impasse politique précède généralement la lutte armée», mais c'est l'inverse qui s'est produit en Libye, d'après le professeur d'études internationales Vijay Prashad, du Trinity College de Hartford, au Connecticut. Il estime que l'intervention militaire occidentale de 2011 a rendu impossible tout processus politique. Depuis, différents groupes armés s'affrontent pour le contrôle du territoire et des ressources, ce qui a transformé le pays en perpétuel champ de bataille, mais «ce n'est pas clair quel est leur objectif» ultime. En résulte une situation qui est, selon lui, «pire qu'une guerre civile».

GUERRE «PAR PROCURATION»

En plus de devoir conjuguer avec un «État failli» hérité de 40 ans de pouvoir concentré entre les mains du colonel Kadhafi, la Libye est le théâtre d'une «guerre par procuration», affirme le professeur Sami Aoun, de l'Université de Sherbrooke. D'un côté, le Qatar et la Turquie, plus islamistes, appuyant les Frères musulmans, et de l'autre, l'Égypte, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, partisans d'un islam plus modéré. «La guerre en Libye va durer tant qu'il n'y aura pas de compromis pour un nouvel État libyen, mais aussi pour régler les guerres interarabes.»



DEUX GOUVERNEMENTS

Deux gouvernements se disputent le pouvoir en Libye. Celui qui est reconnu par la communauté internationale siège à Tobrouk, près de la frontière avec l'Égypte. Le second, appuyé par le mouvement islamiste de l'Aube de la Libye et réputé proche des Frères musulmans, se trouve à plus de un millier de kilomètres de là, dans la capitale, Tripoli. «Tout est en double! s'exclame le professeur Prashad. Il y a deux Parlements, il y a deux ministères du Pétrole, il y a deux banques centrales qui se font compétition. Et ce sont des institutions sérieuses.»

PÉTROLIER BOMBARDÉ

L'aviation libyenne a bombardé dimanche le pétrolier grec Araevo dans le port de Derna, un bastion islamiste radical, faisant deux morts et deux blessés parmi l'équipage. Le navire transportant 12 600 tonnes de brut, qualifié de «suspect» par les autorités, ne se serait pas arrêté pour une fouille. L'incident démontre à quel point la situation est explosive, selon le professeur Vijay Prashad. «C'est ce qui arrive quand on "militarise" la prise de décisions». En plus de craindre des livraisons d'armes, «l'un des gouvernements déteste quand du pétrole est exporté [par l'autre]».

NÉGOCIATIONS REPOUSSÉES

Les négociations qui devaient commencer hier sous l'égide de l'ONU afin de mettre un terme au conflit ont été annulées au dernier moment. «Il y a eu plusieurs reports», rappelle le professeur Prashad, soulignant que plusieurs parties ne reconnaissent pas la légitimité du processus. Or, certains groupes ne sont pas représentatifs de la population libyenne, argue-t-il, comme les milices islamistes de la région de Derna. «Derna n'est pas la Libye, tranche-t-il. Les Libyens vont devoir se rappeler que c'est de leur pays qu'il s'agit et rejeter les groupes comme l'Aube de la Libye.»

MILICES «HORS DE CONTRÔLE»

Restaurer l'ordre et l'autorité du gouvernement est une tâche ardue qui n'est pas à la portée du gouvernement actuel, qui «n'a pas une armée très forte pour intimider les insurgés», estime le professeur Sami Aoun. Les autorités «officielles» ont d'ailleurs demandé hier lors d'une réunion de la Ligue arabe des armes pour lutter efficacement contre les dizaines de milices armées qui sèment le chaos dans le pays. Or, la communauté internationale est elle-même divisée sur la question libyenne, souligne Sami Aoun, avec la «querelle entre la France et la Grande-Bretagne».