La Libye a enjoint mardi les États-Unis de lui remettre «immédiatement» Abou Anas al-Libi, un chef présumé d'Al-Qaïda capturé par un commando américain lors d'un raid en territoire libyen.

Cette demande a été faite au lendemain de la convocation de l'ambassadrice des États-Unis Deborah Jones par le gouvernement libyen, sous pression et embarrassé par cette affaire qui a provoqué la colère de groupes d'ex-rebelles et de partis politiques.

Dans un communiqué lu par son porte-parole, Omar Hmidan, le Congrès général national libyen (CGN), la plus haute autorité politique de Libye, a souligné «la nécessité de la remise immédiate du citoyen libyen», qualifiant le raid américain de «violation flagrante de la souveraineté nationale».

Il s'agit de la première réaction officielle libyenne condamnant clairement l'opération américaine. Le gouvernement libyen avait tenu jusqu'ici des propos mesurés.

Samedi, les forces spéciales américaines ont capturé lors d'un raid audacieux à son domicile à Tripoli Abou Anas al-Libi, un Libyen figurant sur la liste des personnes les plus recherchées par la police fédérale américaine (FBI) qui offrait «jusqu'à 5 millions de dollars» pour toute information permettant son arrestation ou sa condamnation.

De son vrai nom Nazih Abdul Hamed al-Raghie, ce chef présumé du réseau Al-Qaïda était recherché par les États-Unis qui l'accusent d'implication dans les attentats meurtriers de 1998 contre les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya (plus de 200 morts).

Le ministre de la Justice Salah al-Marghani qui a convoqué l'ambassadrice américaine à Tripoli pour lui «demander des réponses à plusieurs questions relatives à l'affaire», a affirmé avoir eu un «dialogue franc» avec elle.

Lors d'une conférence de presse à Tripoli, il a précisé avoir expliqué à Mme Jones que la capture du Libyen était «un enlèvement contraire aux lois libyennes».

M. Marghani a souligné que son gouvernement «usera des moyens diplomatiques et juridiques pour garantir les droits du citoyen libyen Nazih al-Raghie».

Les Libyens doivent être jugés en Libye

Le premier ministre libyen Ali Zeidan a lui aussi critiqué indirectement l'opération américaine, en estimant que les citoyens libyens «doivent être jugés en Libye» et que «la Libye ne livrera pas ses citoyens pour qu'ils soient jugés à l'étranger».

Dans l'embarras et confrontées à la pression d'une partie de l'opinion publique, les autorités qui n'ont pas réussi depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi, à rétablir l'ordre dans le pays, pourraient perdre totalement le contrôle de la situation, face à des groupes armés et des forces de sécurité pro-islamistes.

Ainsi, la «Chambre des opérations des révolutionnaires de Libye», qui regroupe des groupes d'ex-rebelles ayant combattu le régime kadhafiste en 2011, a annoncé dans un communiqué un «état d'alerte maximum face à une dégradation de la sécurité et aux atteintes à la souveraineté du pays de la part des renseignements étrangers».

Le groupe a appelé les ex-rebelles à se tenir «prêts et attendre les ordres» de leur commandement «pour chasser les étrangers en situation irrégulière».

De son côté, le groupe salafiste d'Ansar al-Charia a appelé dans un communiqué à «une grande mobilisation populaire pour libérer le frère Abou Anas détenu par ces mécréants (...), et ceci par tous les moyens permis par la Charia», la loi islamique.

Les États-Unis ont défendu la capture d'Abou Anas. Les États-Unis font «tout ce qui est en leur pouvoir et est approprié et légal» afin de mettre fin à la menace terroriste, a déclaré le secrétaire d'État John Kerry.

HRW et AI pour un jugement équitable

Selon lui, Abou Anas a commis des «actes terroristes» et a été «dûment inculpé par des tribunaux dans le cadre d'un processus judiciaire».

Amnistie Internationale a dénoncé la capture d'Abou Anas transporté, selon les Américains, à bord d'un navire de guerre de la US Navy dans la région pour interrogatoire.

Washington «doit immédiatement confirmer son lieu de détention et lui fournir l'accès à un avocat, à des soins médicaux et (lui permettre de contacter) des membres de sa famille», a-t-elle dit.

Human Rights Watch a appelé à «respecter les droits (d'Abou Anas) afin qu'il puisse être jugé équitablement par un tribunal civil».

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Nazih Abdul Hamed al-Raghie alias Abou Anas al-Libi figurait parmi les personnalités les plus recherchées par le FBI. Sa tête a été mise à prix pour cinq millions de dollars.