Les Libyens ont réussi samedi leurs premières élections libres après des dizaines d'années de dictature sous Mouammar Kadhafi, malgré des violences et des opérations de sabotage de militants autonomistes dans l'Est.

Huit mois après la fin du conflit armé qui a provoqué la chute puis la mort de Mouammar Kadhafi, quelque 2,8 millions d'électeurs étaient appelés à choisir les 200 membres du «Congrès national général», où les islamistes espèrent remporter le même succès que leurs voisins tunisiens et égyptiens.

Le taux de participation au scrutin a atteint 60%, selon les résultats préliminaires annoncés par la Commission électorale dans la soirée.

La journée a néanmoins été endeuillée par la mort d'une personne près d'un bureau de vote à Ajdabiya, dans l'est du pays, dans des circonstances peu claires.

L'Union européenne a salué samedi les élections «véritablement historiques» en Libye, soulignant qu'elles s'étaient déroulées «dans un climat de liberté», tandis que Londres a fait état d'une «étape importante» et un moment «historique» pour ce pays sur sa route vers la liberté.

Les bureaux ont commencé à fermer à 20H00 locales à Tripoli et Benghazi (est), foyer de la révolution, selon des journalistes de l'AFP.

Le chef de la Commission a précisé que «dans certains bureaux de vote qui ont été fermés une partie de la journée dans l'Est, l'opération électorale se poursuivrait jusqu'à ce que tous les électeurs le souhaitant aient pu voter».

Il a indiqué en fin d'après-midi que 98% des bureaux de vote fonctionnaient normalement, alors qu'il avait annoncé plus tôt qu'une centaine de bureaux, sur un total de 1.554, soit 94%, n'avaient pu ouvrir leurs portes en raison d'actes de sabotages, notamment dans l'Est.

Les résultats préliminaires devraient être annoncés «à partir de lundi ou mardi», selon la Commission.

Alexander Graf Lambsdorff, qui dirige une équipe de 21 observateurs de l'Union européenne, a indiqué que le scrutin s'était globalement bien passé.

«Nous avons vu des électeurs venant en grand nombre aux bureaux de vote de façon pacifique et ne craignant pas les intimidations, malgré des perturbations dans l'Est et des tensions dans le Sud», a-t-il dit, en soulignant que «cette élection représente un évènement historique pour la Libye».

A Tripoli comme à Benghazi, les bureaux de vote ont vu passer un flot d'électeurs ravis de participer au premier scrutin national après plus de quarante ans de règne de Mouammar Kadhafi.

«Ma joie est indescriptible», a déclaré Fawziya Omran, en patientant devant une école du centre de la capitale.

«Je me sens un citoyen libre», s'est réjoui Ali Abdallah Derwich, 80 ans, en chaise roulante.

Certains électeurs étaient venus avec les drapeaux noir, rouge et vert de la révolution, et les mosquées diffusaient les «Allah Akbar» (Dieu est le plus grand) tandis que les rues résonnaient des concerts de klaxons.

Des centaines de Tripolitains ont convergé après le vote vers la place des martyrs au centre de la capitale pour fêter l'événement jusqu'à une heure tardive de la nuit.

La joie était tout aussi palpable à Benghazi, malgré les appels au boycottage et au sabotage du scrutin lancés par les partisans de l'autonomie.

«J'ai le sentiment que ma vie a été gâchée jusqu'à présent, mais mes enfants auront une vie meilleure. Tout ce dont ils ont besoin, c'est d'une impulsion, et je crois que les nouveaux dirigeants donneront cette impulsion», a déclaré Hueida Abdul Sheikh, 47 ans.

Nouvelle période de transition

En votant dans sa ville de Baïda (est), Moustapha Abdeljalil, le président du Conseil national de transition (CNT au pouvoir) qui doit s'effacer devant la nouvelle Assemblée, a estimé que cette journée établissait «les fondements d'une Libye nouvelle».

Avec 3.702 candidats et plus de 100 partis en lice, les pronostics sont difficiles, mais trois formations sortent du lot: les islamistes du Parti de la justice et de la construction (PJC), issu des Frères musulmans, ceux d'Al-Watan, dirigés par l'ex-chef militaire controversé de Tripoli Abdelhakim Belhaj, et les libéraux réunis dans une coalition lancée par l'ex-premier ministre du CNT Mahmoud Jibril.

La semaine précédant le scrutin a été marquée par des tensions dans l'Est, qui ont culminé vendredi avec la mort d'un fonctionnaire de la Commission électorale, tué par un tir à l'arme légère sur l'hélicoptère à bord duquel il se trouvait au sud de Benghazi.

Auparavant, des partisans de l'autonomie, qui entendent dénoncer la répartition des sièges au sein de l'Assemblée nationale (100 sièges pour l'Ouest, 60 pour l'Est et 40 pour le Sud), avaient sommé plusieurs importants terminaux pétroliers de l'Est de cesser leurs opérations jusqu'à la fin du scrutin.

«Si les autorités ne revoient pas la répartition des sièges, nous allons envisager d'autres mesures», a prévenu l'un des leaders, Ibrahim al-Jadhran.

Pour tenter de calmer les autonomistes, le CNT a ôté à la prochaine Assemblée l'une de ses principales prérogatives, celle de désigner les membres du comité chargé de rédiger la future Constitution.

La composition de ce comité devrait faire l'objet d'un nouveau scrutin, et chacune des trois régions y enverra 20 membres.

En attendant, le Congrès général national sera chargé de choisir un nouveau gouvernement et de gérer une nouvelle période de transition, en prenant le relais du CNT qui devrait être dissous lors de sa première session.