La ville libyenne de Misrata, qui fut pendant de longs mois le site d'une bataille acharnée et sanglante entre rebelles et soldats fidèles à Mouammar Kadhafi, se remet lentement du cauchemar. Mais son passé ne risque pas d'être oublié de sitôt.

La rue Tripoli, au coeur de l'agglomération de 400 000 habitants, livre, par sa triste apparence, un vibrant témoignage de l'intensité des affrontements.

La plupart des immeubles ont la façade couverte de marques de balles ou de trous béants produits par des obus. Les fenêtres sont, à quelques exceptions près, fracassées à tous les étages, les murs sont souvent carbonisés. Même les poteaux d'éclairage sont parsemés de trous en raison des tirs nourris de belligérants. Des conteneurs métalliques aux apparences de gruyère traînent un peu partout près de tanks aux tourelles arrachées.

Au milieu de l'artère, longtemps sous le contrôle de tireurs d'élite du régime, les résidants ont improvisé une sorte de musée de fortune pour rappeler ce qu'ils ont vécu.

Des ogives, des munitions, des roquettes explosées ont été étalées au sol comme sur un présentoir à côté d'habits militaires, de fusils et de mitraillettes. Une gigantesque pièce d'artillerie complète le décor, que plusieurs Libyens viennent prendre en photo.

«C'était terrible, terrible. Il n'y avait pas d'eau, pas de nourriture, pas d'électricité» a indiqué hier Amine Mohamed Kaloush, un homme de 21 ans qui a combattu dans la ville avant de prendre part à l'offensive contre Tripoli.

Le jeune combattant rebelle, qui accompagnait des amis venus de la capitale pour constater les dégâts, a perdu un cousin dans les batailles. Des centaines d'autres familles opposées au régime libyen ont été pareillement touchées.

Adel Jamar Swiese a décidé de tout faire pour que leurs noms ne soient pas oubliés en ouvrant un musée improvisé dans lequel sont exposées les photos des «martyrs de Misrata» avec leur date de naissance et le jour de leur mort.

«Je veux montrer au monde ce qui est arrivé ici», indique l'homme de 26 ans, qui a perdu son père, tué par un tireur en embuscade dans les premiers jours du soulèvement.

Il a découpé sa photo et celles de quatre enfants tués lors d'un incident distinct et les a exposées au premier étage d'un immeuble à moitié détruit. Les familles ont commencé à lui faire parvenir leurs clichés et la liste n'a cessé de s'allonger depuis. «J'ai encore près de 100 photos pour lesquelles je n'ai pas de place», dit-il.

Son travail n'est pas du goût de tout le monde, puisqu'un vandale a peint récemment une croix gammée sur plusieurs photos. Le jeune homme soupçonne un sympathisant kahdafiste furieux de la prise de Misrata par les rebelles.

Ils ont finalement réussi à s'imposer dans la ville en mai, tirant profit des bombardements de l'OTAN et du soutien rebelle venu par la mer de Benghazi, plusieurs centaines de kilomètres à l'est.

Les combattants ont ensuite participé activement à la prise de Tripoli, comme le rappelle un graffiti qui salue les «lions de Misrata».

Bien qu'elle soit encore ravagée, la ville recommence tranquillement à vivre. Dans plusieurs artères, de petits commerces ont rouvert leurs portes, parfois en posant une vitre neuve sur la seule pièce viable d'un immeuble dévasté.

Mustafa Ahmed Lshami, qui travaille dans l'immobilier, a rouvert son commerce il y a un mois. Bien que l'état des bâtiments n'encourage guère les transactions, plusieurs résidants reviennent en ville et cherchent des endroits viables pour s'installer, relate l'homme de 50 ans, qui savourait hier après-midi un livre religieux sans prêter attention au décor dévasté qui l'entourait.

Ses trois fils, qui ont participé à la rébellion, pourraient bientôt reprendre du service si leurs chefs décident de lancer l'offensive contre la ville de Syrte, 250 kilomètres plus à l'est. Il s'agit du dernier grand bastion kadhafiste.

«S'ils veulent y aller, c'est correct. Avec ce qu'ils ont vécu, ils sont assez vieux pour décider par eux-mêmes», dit le résidant de Misrata.