La population de Tripoli vit avec des sentiments mitigés de jubilation et de peur, les rebelles jouant au chat et la souris avec des soldats pro-Kadhafi qui résistent toujours, positionnant des tireurs embusqués et ouvrant le feu à partir de voitures.

L'électricité, l'eau et internet ont été coupés et l'un des deux réseaux de téléphonie, Almadar, l'est aussi depuis environ 10H45 (heure de Montréal). Certains habitants commencent à craindre de se retrouver bientôt sans nourriture.

Les points de contrôle des rebelles sont encore rares dans les rues défoncées de la capitale libyenne, témoignant du fait que les insurgés n'ont pas encore pris le contrôle total de la ville.

Au lendemain d'une percée majeure, les rebelles présents attendent le renfort de milliers d'autres combattants de la révolution venus de régions déjà libérées du pays.

Ils hésitent sur la manière d'avancer dans la ville: rapidement à travers de grandes avenues, exposés aux tirs des snipers installés sur le toit d'immeubles, ou lentement à travers le labyrinthe de ruelles, sans savoir qui vous attend au prochain tournant.

Les murs tristes en béton de Tripoli ont été recouverts de graffitis anti-Kadhafi et pro-révolution, exigeant la liberté et la chute du «Guide» libyen, au pouvoir depuis 42 ans et que la plupart des habitants considèrent comme fou.

Le long de la corniche, un cycliste solitaire défie les francs-tireurs, au moment où les balles rompaient le silence de la ville.

Les civils sont exténués après être restés éveillés la plus grande partie de la nuit et avoir festoyé en mangeant, buvant et fumant des cigarettes, ce qui leur est impossible durant la journée pendant le mois sacré musulman du ramadan.

Dans le quartier de Gorji, au sud-ouest de la capitale, près de la résidence d'un des fils de Mouammar Kadhafi, Mohamed, désormais retenu par les insurgés, les habitants disent avoir accueilli, en liesse, les combattants révolutionnaires.

«Les rebelles des montagnes et de Zawiyah sont maintenant à la place des Martyrs (le nouveau nom donné par les insurgés à la place Verte, où se rassemblaient traditionnellement les pro-Kadhafi) et dans les rues environnantes», a déclaré à l'AFP un habitant, Saad Zaidi, tout juste revenu des festivités du centre-ville.

«Mais il y a des tireurs embusqués africains venus du Tchad dans la Vieille ville et parfois, on peut entendre des tirs d'obus de mortier. Mais nous ne savons pas d'où ils sont tirés», a-t-il ajouté.

Abdelrahmane ben Jama, comme la majorité des habitants de Gorji --quartier qui a pris en charge une équipe de journalistes de l'AFP visée par un tireur embusqué--, ne veut qu'une chose: rejoindre les combats.

«Je n'ai pas d'arme, mais je veux protéger ce quartier parce que c'est le mien. Nous n'avons pas assez d'armes, mais nous voulons toutes les armes possibles pour nous débarrasser du dictateur. Ici, chacun est un combattant», dit-il.

«Même les femmes nous ont soutenu, moralement, elles sont tellement heureuses de tout ce qui arrive», ajoute-t-il.

Les habitants sont tendus et nerveux, ne sachant pas ce qui va se passer dans les jours ou semaines à venir, mais déjà heureux d'avoir vu ce qu'ils considèrent comme la fin inévitable de Mouammar Kadhafi.

«Gorji a été le premier quartier à manifester contre Kadhafi, 100 personnes ont été arrêtées depuis le début de la révolution et nous n'avons toujours aucune nouvelle d'eux», explique Aboubakr Wanis, un voisin.

«La télévision d'État a dit qu'ils attaqueraient notre quartier si on n'arrêtait pas. Kadhafi a demandé à un cheikh du quartier de dire aux gens dans son prêche de se battre en son nom, mais il a refusé et a été arrêté», ajoute-t-il.

Tous disent savoir quels voisins soutiennent le colonel Kadhafi, mais ils ne réclament pas vengeance. «On sait exactement qui est avec nous et qui est avec Kadhafi, ils sont peu nombreux, on leur a juste conseillé de rester chez eux», confie M. Wanis.

Dans l'hôtel où sont confinés les journalistes étrangers, le personnel a quitté les lieux et des hommes armés pro-régime entrent parfois dans le hall et assurent la sécurité autour de l'établissement.