Une boule de feu apparaît à l'arrière du chasseur qui part en vrille puis tombe en feuille morte et s'écrase sur des habitations. Des fumées noires couvrent l'horizon alors que les bombardements secouent la ville. La bataille de Benghazi a commencé.

Les bombardements ont débuté peu après l'aube dans ce bastion de l'opposition. Après des premières explosions au sud-ouest, à la limite de la ville, le bruit des réacteurs d'un avion militaire se fait entendre dans le ciel. Mais le bombardier reste invisible.

À quelques kilomètres du centre-ville, les bombes continuent de tomber en rafale. Six nouvelles explosions engendrent de nouvelles fumées noires et des débuts d'incendie. Des quartiers d'habitations sont touchés.

Quand l'avion militaire s'écrase juste après que son pilote se soit éjecté, des tirs de joie retentissent, même si les rebelles ont reconnu plus tard qu'il s'agissait de l'un de leurs appareils, qu'ils auraient eux-mêmes descendu par erreur.

Très vite, des obus de chars se font entendre plus près du centre. Les blindés sont invisibles, mais des dizaines de voitures fuient la partie sud de Benghazi. Selon deux photographes français, au moins quinze chars des forces gouvernementales sont déployés dans Benghazi.

La veille, les rebelles avaient envoyé des centaines de jeunes en renfort à Al-Magrun, à 80 km au sud de Benghazi, pour bloquer l'offensive des forces pro-Kadhafi. Nul ne sait ce qu'il est advenu d'Al-Magrun.

Dans les quartiers nord de Benghazi, habitants et insurgés sont dans la rue et crient «Allah Akbar». «Il faut rester, il faut rester», crie un habitant. «Non, des habitants partent déjà à cause des combats», lui répond un autre.

Sur la route, des dizaines de véhicules lourdement chargés, voitures, minibus, camions, s'éloignent en trombe de la zone des combats. De longues files d'attente se forment devant les stations-service et les boulangeries.

Au fur et à mesure qu'il s'éloigne de Benghazi, le flot enfle. La route à deux voies ne suffit bientôt plus à contenir ce début d'exode. Alors que la plaine désertique s'efface pour des collines vertes, les réfugiés sont accueillis par des habitants surexcités.

«Il faut suivre la route côtière, pas la route du désert vers Tobrouk. Elle est aux mains de l'armée de Kadhafi», croit savoir un habitant. En fait, personne ne sait rien. L'heure est à la panique.

Et à la solidarité. «Si vous avez besoin de quoi que ce soit, c'est gratuit», crie un jeune Libyen. Un peu plus loin sur la route, des hommes brandissent des pancartes: «Vous êtes les bienvenus chez vos frères à Kowkara».

Dans une autre localité, insurgés et habitants passent entre les files de voitures et distribuent des petits sacs de rations alimentaires: berlingots de lait, amandes, boîtes de thon, dattes, etc. D'autres jettent des bouteilles d'eau dans les voitures.

«Nous sommes partis dès les premiers bombardements», raconte Oum Mohaned, une mère de famille qui a fui avec 16 proches. «Nous avons tout laissé derrière nous (...), nous irons n'importe où nous pourrons maintenant».

«Bien sûr que nous avons peur. Nous avons des enfants avec nous», explique Mohammed Sheikhi, parti avec 14 personnes. «Nous espérons atteindre Al-Baïda», plus à l'est, dit-il. Pour l'instant, il se trouve à Al-Majr, à une centaine de kilomètres au nord-est de Benghazi.

Dans cette ville de 25 000 habitants, la solidarité s'organise. «Les voitures affluent depuis 8h00 ce matin. Nous arrêtons les voitures et leur offrons notre aide», explique Bassam Ekreish, un Libyen de 37 ans portant une mitrailleuse à l'épaule.

«Vous voyez l'immeuble de deux étages là-bas. Plusieurs familles y sont déjà installées», dit-il.