Washington et Moscou étaient engagés mercredi dans un face-à-face de plus en plus tendu sur le dossier syrien, Donald Trump avertissant du tir imminent de missiles contre le régime de Bachar al-Assad en représailles à une attaque chimique présumée près de Damas.

«La Russie jure d'abattre n'importe quel missile tiré sur la Syrie. Que la Russie se tienne prête, car ils arrivent, beaux, nouveaux et "intelligents"! Vous ne devriez pas vous associer à un Animal qui Tue avec du Gaz, qui tue son peuple et aime cela», a tweeté le président des États-Unis au lendemain d'un veto russe à l'ONU à un projet de résolution américain.

En appui au président, le Pentagone s'est dit «prêt» à présenter des options militaires pour frapper la Syrie, tandis que le régime de Bachar al-Assad a évacué des aéroports et des bases militaires selon une ONG.

Mais après les tweets présidentiels va-t-en-guerre du matin, la Maison-Blanche s'est montrée plus prudente dans l'après-midi.

«Le président tient la Syrie et la Russie pour responsables de cette attaque aux armes chimiques», mais «toutes les options sont sur la table, la décision finale n'a pas été prise», a déclaré sa porte-parole, Sarah Sanders.

Les chefs du Pentagone, Jim Mattis, et de la CIA, Mike Pompeo, se sont rendus à la Maison-Blanche mercredi. «L'équipe du président chargée de la sécurité nationale s'est réunie aujourd'hui» pour «évoquer plusieurs options», a précisé Sarah Sanders.

La perspective d'une action militaire des Américains, soutenus par la France et probablement le Royaume-Uni, s'inscrit dans un contexte extrêmement difficile entre l'Occident et la Russie. Les relations sont déjà passablement dégradées par l'affaire de l'ex-espion Sergueï Skripal empoisonné par un agent innervant en Angleterre le 4 mars.

Des tensions symbolisées par un dialogue de sourds à l'ONU. Un triple vote mardi --rare à l'ONU la même journée et sur le même sujet-- sur deux textes russes et un texte américain n'a abouti à aucune adoption.

L'ambassadeur de Russie à l'ONU Vassily Nebenzia a justifié le 12e veto russe en sept ans d'un conflit qui a fait plus de 350 000 morts par la volonté de «ne pas entraîner le Conseil de sécurité dans des aventures»

La Bolivie, qui s'était rangée du côté de la Russie contre le texte américain, a demandé la tenue jeudi d'une réunion du Conseil de sécurité sur «l'escalade récente de la rhétorique concernant la Syrie».

Signe de la complexité d'un conflit aux multiples acteurs, la Russie a appelé Israël --accusé d'avoir mené un raid lundi contre une base aérienne syrienne-- à «s'abstenir de toute action qui déstabiliserait encore plus la situation» en Syrie.

Situation «très tendue»

Jugeant la situation «très tendue», le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a dit espérer «que toutes les parties vont éviter tout acte qui ne serait en réalité en aucun cas justifié».

L'ambassadeur russe au Liban Aleksander Zasypkin s'est fait plus menaçant sur la chaîne Al-Manar, basée au Liban et gérée par le Hezbollah chiite libanais: «En cas de frappe américaine (...), les missiles seront détruits, de même que les équipements d'où ils ont été lancés».

M. Trump a lui déploré que les relations entre les États-Unis et la Russie soient «pires aujourd'hui qu'elles ne l'ont jamais été, y compris pendant la Guerre froide».

Un constat d'échec pour le président américain qui avait fait de la relance des relations avec la Russie un des grands objectifs de sa politique étrangère.

Réunion d'urgence à Londres

Dans ce contexte, la Turquie, autre acteur-clé dans le conflit syrien, a exhorté Moscou et Washington à cesser leur «bagarre de rue», tandis que les éléments d'une riposte coordonnée entre Occidentaux se mettaient en place.

La France annoncera «dans les prochains jours» une «décision» en accord avec les alliés américain et britannique, a dit le président français Emmanuel Macron, assurant que les bombardements viseraient «les capacités chimiques» du régime de Damas.

Après avoir dénoncé l'«attaque barbare» de Douma, près de Damas, la première ministre britannique Theresa May a convoqué pour jeudi une réunion d'urgence de son gouvernement, afin de «discuter de la réponse à apporter aux événements en Syrie», a annoncé une porte-parole mercredi soir.

Enquête

L'Organisation internationale sur les armes chimiques (OIAC), organisme dont le mandat est d'enquêter sur une attaque présumée, mais pas d'en identifier les responsables, a annoncé mardi l'envoi «sous peu» d'une équipe en Syrie.

Selon les Casques blancs et l'ONG médicale Syrian American Medical Society, plus de 40 personnes ont été tuées à Douma, dernier bastion rebelle dans la Ghouta orientale, tandis que plus de 500 blessés ont été soignés notamment pour des «difficultés respiratoires».

L'OIAC a été invitée par Damas qui, comme Moscou, nie toute attaque chimique.

Face au risque d'attaques, l'armée syrienne a évacué des aéroports, des bases militaires ainsi que les bâtiments du ministère de la Défense et de l'état-major à Damas, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), une ONG qui centralise des informations sur le pays.

Mais dans les rues de Damas, des Syriens semblaient rester de marbre face aux menaces. «Personne n'a peur d'une frappe», lance sur un ton de défi Amal, ingénieure de 27 ans. «On sait que tout ce qu'ils font, c'est pour miner (...) l'engagement de l'armée qui libère les régions» tenues par la rébellion.