La Commission d'enquête de l'ONU sur la Syrie a appelé mercredi les parties en conflit à protéger davantage la population, se disant «gravement préoccupée» par le nombre croissant de civils tués, notamment dans l'offensive pour reprendre Raqqa au groupe État islamique.

«Dans les zones contrôlées par des factions extrémistes, nous sommes gravement préoccupés par le nombre croissant de civils qui périssent lors des attaques aériennes», a déclaré le président de la Commission, Paulo Pinheiro.

«Nous notons en particulier que l'intensification des frappes aériennes, qui ont préparé le terrain pour l'offensive des Forces démocratiques syriennes», une alliance arabo-kurde appuyée par les États-Unis pour reprendre Raqqa aux jihadistes, «a entraîné non seulement un nombre effrayant de pertes de vies de civils mais a également conduit 160 000 civils à fuir», a-t-il ajouté.

«L'impératif de lutter contre le terrorisme ne doit (...) pas être entrepris au détriment des civils qui se trouvent involontairement dans les régions où se trouve» l'EI, a-t-il relevé.

La Commission d'enquête indépendante de l'ONU a été créée en août 2011, quelques mois après le début du conflit syrien. Présidée par le Brésilien Pinheiro, elle a déjà rendu plusieurs rapports.

Lors de son discours mercredi devant le Conseil, M. Pinheiro a souligné que les «accords d'évacuation» en Syrie «soulèvent aussi des préoccupations et dans certains cas pourraient représenter des crimes de guerre».

«On ne peut pas parler de choix (...) lorsque ceux qui restent courent bien souvent le risque d'être arbitrairement arrêtés ou recrutés de force. Désespérés, les civils n'ont pas d'autre choix que de partir», a-t-il expliqué.

Plusieurs opérations d'évacuation ont été organisées notamment au cours des derniers mois pour des bastions insurgés asphyxiés par un long siège, le régime misant sur ce qu'il appelle des accords de «réconciliation locale» pour faire plier les rebelles.

En mars dernier, la Commission avait déjà qualifié de «crime de guerre» l'accord final d'évacuation d'Alep-Est, conclu sous l'égide de la Russie, soutien du régime, et la Turquie, alliée de l'insurrection.

Plus de 320 000 personnes ont été tuées en Syrie depuis le début de la révolte antirégime en 2011.

Nouveau défi humanitaire

(Sara HUSSEIN, BEYROUTH) - Avec l'intensification des combats pour chasser le groupe État islamique (EI) de son bastion de Raqa, les ONG font face à un défi de taille pour venir au secours des civils dans cette région isolée de Syrie.

L'approvisionnement «est très, très limité alors que les besoins sont immenses», résume Puk Leenders, coordinateur de Médecins sans frontières (MSF) pour les opérations d'urgence dans le nord syrien.

Les ONG cherchent à venir en aide aux dizaines de milliers d'habitants ayant fui Raqqa et ses environs depuis le lancement en novembre de l'offensive des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance arabo-kurde appuyée par les États-Unis, pour reprendre la région aux jihadistes.

Mais avec la progression ces derniers jours des FDS dans la ville même de Raqqa, de nouvelles vagues de déplacés sont attendues.

Or l'aide humanitaire s'avère difficile à acheminer vers cette région désertique et en bonne partie coupée du reste de la Syrie et des pays voisins, la Turquie et l'Irak.

Ankara, qui considère les FDS comme un groupe «terroriste», a ainsi fermé sa frontière au nord de Raqqa.

La frontière avec l'Irak, à environ 300 kilomètres au nord-est de fief jihadiste, reste ouverte aux marchandises, mais dans la pratique la circulation est limitée, selon des responsables locaux.

L'ONU, qui opère en Syrie avec l'autorisation du régime, a pu larguer à partir de Damas de l'aide sur la ville de Qamichli, située à quelque de 300 km de Raqa.

Mais cette aide est «limitée et insuffisante pour faire face à tous les besoins», estime David Swanson, porte-parole régional du Bureau de coordination des Affaires humanitaires de l'ONU (OCHA).

«Situation volatile»

Ville moyenne en Syrie, Raqqa comptait 300 000 habitants sous le règne de l'EI, dont 80 000 déplacés venus d'autres régions en guerre. Mais, selon l'ONU, quelque 169 000 personnes ont fui la ville et ses environs pendant les seuls mois d'avril et mai.

Depuis, des milliers de déplacés s'entassent dans des camps sous-dimensionnés pour les accueillir tous.

Ainsi, à Aïn Issa, à environ 50 km au nord de Raqqa, les civils tout juste arrivés disent dormir à même le sol, sans matelas ni tente.

«Le camp compte plus de 25 000 personnes alors qu'il a été conçu pour en accueillir 10 000», affirme à l'AFP son directeur, Jalal Ayyaf. «Les ONG fournissent de l'aide, mais c'est insuffisant pour faire face à toutes les arrivées.»

Près de 800 personnes arrivent tous les jours dans le camp, selon Mme Leenders de MSF. D'autres dorment sur les bords de routes ou sous des arbres au nord de la ville.

Les acteurs humanitaires s'inquiètent aussi d'une «situation sécuritaire très volatile», les civils étant à la fois menacés par «les mines et engins explosifs improvisés (...), les attaques de l'EI, et les raids de la coalition internationale», selon Paul Donohoe du International Rescue Committee (IRC). À terme, «près de la moitié de la population (restante) de Raqqa pourrait fuir la ville», prévient-il.

«Choix impossible»

Ceux qui arrivent à fuir sont souvent blessés ou souffrent de problèmes de santé allant de la déshydratation aux maladies chroniques non soignées. Mais la région manque de personnel médical qualifié et les infrastructures ont été endommagées dans les combats.

«Les hôpitaux sont minés. Il est très difficile de recommencer à les utiliser (...) C'est un immense défi», souligne Mme Leenders.

Par ailleurs, «de nombreux civils en fuite débarquent dans des lieux situés trop près de la ligne de front», et donc difficiles d'accès pour les travailleurs humanitaires, explique M. Donohoe.

MSF tente néanmoins d'y mettre en place des unités médicales pour soigner en urgence les blessés graves en attendant qu'ils atteignent un hôpital.

Les civils dans Raqqa font face à un «choix impossible», a mis en garde l'ONG la semaine dernière. «Soit ils restent à Raqqa et exposent leurs enfants à la violence et aux bombardements aériens, soit ils tentent de leur faire passer la ligne de front, en sachant qu'ils pourraient être pris dans les tirs croisés et avoir à traverser des champs de mines.»