Les États-Unis ont frappé jeudi soir la Syrie, tirant des dizaines de missiles de croisière contre une base aérienne du régime en réponse à une attaque chimique présumée que Donald Trump a qualifiée de «honte pour l'humanité».

La frappe a été menée avec «59 missiles» Tomahawk, a annoncé un responsable de la Maison-Blanche, précisant que Washington avait visé la base aérienne de Shayrat, qui est «associée au programme» d'armes chimiques de Damas et «directement liées» aux évènements «horribles» de mardi. Des personnes sont mortes dans cette frappe, a annoncé à l'AFP le gouverneur de Homs, la province où elle est située.

«Il y a des martyrs, mais nous n'avons pas encore de bilan ni pour les martyrs ni pour les blessés», a affirmé Talal Barazi au téléphone.

«Il y a des blessés qui sont atteints de brûlures (...) Il y a des incendies que nous tentons de maîtriser. Ca va prendre un peu de temps pour évaluer les dégâts», a-t-il ajouté.

«Bien sûr nous condamnons» ces frappes, et «toute action visant les bases militaires syrienne est condamnable», a encore poursuivi M. Barazi.

«L'armée de l'air présente dans l'aéroport est un soutien important aux forces armées dans la bataille contre le groupe État islamique dans la région de Palmyre», a encore précisé le gouverneur.

Le président Donald Trump a affirmé que ces opérations étaient «dans l'intérêt vital de la sécurité nationale» des États-Unis. La télévision syrienne les a de son côté qualifiées d'«agression».

En conférence de presse, le président Trump a déclaré que le président syrien Bachar al-Assad Assad «a arraché la vie à des hommes, femmes et enfants sans défense» et que les États-Unis «défendent la justice» après une frappe punitive en Syrie.

D'après une source militaire syrienne, la frappe américaine sur une base a provoqué des «pertes»

Les É.-U. ont en outre informé la Russie de leurs intentions avant la frappe. 

Le 4 avril, un raid imputé à l'armée syrienne contre la localité de Khan Cheikhoun dans le nord-ouest de la Syrie a fait au moins 86 morts, dont 27 enfants.

Les États-Unis ont accusé le régime du président Bachar al-Assad d'avoir utilisé un agent neurotoxique de type sarin contre cette petite ville rebelle, dont les images de victimes - femmes et enfants - agonisantes ont choqué le monde.

Le président Trump avait menacé depuis mercredi de passer à l'action contre son homologue syrien pour cette attaque «odieuse», un «affront à l'humanité».

Jeudi, en arrivant en Floride pour accueillir son homologue chinois Xi Jinping, il avait encore dénoncé une «honte pour l'humanité» et réclamé que «quelque chose se passe».

Son chef de la diplomatie Rex Tillerson avait accusé «le régime syrien sous la gouverne du président Bachar al-Assad d'être responsable de cette attaque». La chancelière allemande Angela Merkel a, elle aussi, montré du doigt le «régime d'Assad».

Tillerson a part la suite déclaré en soirée que la Russie a manqué à ses responsabilités en Syrie, mais elle a été avertie à l'avance de la frappe américaine sur une base syrienne pour éviter que ses militaires sur place ne soient touchés.

«Les Russes ont été prévenus à l'avance» de la frappe d'une soixantaine de missiles sur la base aérienne syrienne, via la ligne de communication spéciale établie entre militaires américains et russes pour éviter les incidents en Syrie, a indiqué le porte-parole du Pentagone Jeff Davis.

Il y a eu de «plusieurs conversations aujourd'hui» sur cette ligne spéciale, a indiqué le porte-parole.

La Russie mène des frappes aériennes depuis la fin septembre 2015 en Syrie, où elle a déployé avions et hélicoptères. Son soutien armé et ses frappes aériennes ont aidé le régime de Bachar Al-Assad à reprendre l'avantage face aux rebelles syriens.

Militaires américains et russes ont établi dès le début du déploiement russe une ligne spéciale de communication pour échanger des informations sur leurs opérations respectives et éviter tout incident dans le ciel syrien entre leurs appareils.

La marine américaine a diffusé des vidéos montrant le lancement de plusieurs missiles de ses destroyers.

PHOTO FOURNIE PAR LE DÉPARTEMENT AMÉRICAIN DE LA DÉFENSE

Photo satellite de la base aérienne de Shayrat.

«Conséquences négatives»



À l'issue d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU qui débattait depuis deux jours d'une résolution de condamnation de l'attaque, l'ambassadeur russe Vladimir Safronkov avait mis en garde contre des «conséquences négatives» en cas d'intervention militaire américaine.

À l'été 2013, le prédécesseur de Donald Trump, Barack Obama, avait renoncé à frapper le régime syrien après une attaque aux armes chimiques près de Damas qui avait fait plus de 1400 morts. À l'époque, le magnat de l'immobilier Donald Trump avait exhorté sur Twitter M. Obama à ne pas intervenir en Syrie.

Jeudi, Rex Tillerson a en outre plaidé pour le départ du président syrien, après avoir dit le contraire il y a une semaine.

Dorénavant aux yeux du patron de la diplomatie américaine, «le rôle d'Assad à l'avenir est incertain et avec les actes qu'il a perpétrés, il semblerait qu'il n'ait aucun rôle pour gouverner le peuple syrien».

Jeudi dernier, lui et l'ambassadrice américaine à l'ONU Nikki Haley avaient semblé s'accommoder du maintien au pouvoir du chef de l'État syrien, avant de hausser le ton cette semaine.

L'ancienne secrétaire d'État démocrate Hillary Clinton, qui avait milité pour une approche plus musclée de l'administration de Barack Obama contre le régime de Damas, s'est dite favorable à des frappes pour «détruire» les bases aériennes syriennes.

Perçu comme un isolationniste et hostile à l'interventionnisme de l'Amérique au Moyen-Orient, Donald Trump avait reconnu mercredi que l'attaque chimique avait eu «un énorme impact» sur lui et que son «attitude vis-à-vis de la Syrie et d'Assad avait nettement changé».

L'indignation internationale a pris de l'ampleur après des images d'enfants pris de convulsions sous leur masque à oxygène, de personnes gisant dans les rues et saisies de spasmes, de la mousse sortant de la bouche. Le caractère chimique de l'attaque semble ainsi se préciser, même si les circonstances restent controversées.

En Turquie, où de nombreux blessés ont été évacués, les premières analyses «effectuées à partir des éléments prélevés sur les patients laissent penser qu'ils ont été exposés à un agent chimique», selon le ministère de la Santé. Des médecins et des ONG comme Médecins sans frontières (MSF) ont également évoqué l'utilisation d'«agents neurotoxiques», en particulier le gaz sarin.

Gaz invisible

Ce gaz est inodore et invisible. Même s'il n'est pas inhalé, son simple contact avec la peau bloque la transmission de l'influx nerveux et entraîne la mort par arrêt cardio-respiratoire.

Le régime syrien a été accusé d'avoir utilisé du gaz sarin le 21 août 2013 dans l'attaque de localités aux mains des rebelles en périphérie de Damas, qui avait fait au moins 1429 morts, dont 426 enfants, selon les États-Unis.

Mais le chef de la diplomatie syrienne Walid Mouallem a réaffirmé que l'armée de son pays «n'a pas utilisé et n'utilisera jamais» d'armes chimiques contre son peuple, «pas même contre les terroristes», expression du régime pour désigner rebelles et djihadistes.

D'après lui, l'aviation a frappé «un entrepôt de munitions appartenant» à des djihadistes et «contenant des substances chimiques». Une explication déjà avancée par l'armée russe mais jugée «fantaisiste» par des experts militaires.

L'allocution de Donald Trump

Voici le contenu dans son intégralité de l'allocution de Donald Trump prononcée depuis sa résidence privée de Mar-a-Lago en Floride:

«Mes chers compatriotes, Mardi, le dictateur syrien Bachar al-Assad a lancé une horrible attaque avec des armes chimiques contre des civils innocents.

En utilisant un agent neurotoxique mortel, Assad a arraché la vie à des hommes, femmes et enfants sans défense. Beaucoup ont connu une mort lente et brutale. Même de beaux bébés ont été cruellement assassinés dans cette attaque véritablement barbare. Aucun enfant de Dieu ne devrait avoir à subir une telle horreur.

Ce soir, j'ai ordonné une frappe militaire ciblée sur la base aérienne en Syrie d'où a été lancée l'attaque chimique. Il est dans l'intérêt vital de la sécurité nationale des États-Unis d'empêcher et de dissuader la dissémination et l'utilisation d'armes chimiques mortelles.

Il ne peut y avoir aucun doute que la Syrie a utilisé des armes chimiques interdites, a violé ses obligations vis-à-vis de la Convention sur les armes chimiques, et a ignoré l'exhortation du Conseil de sécurité de l'ONU.

Pendant des années, de précédentes tentatives pour faire changer le comportement d'Assad ont toutes échoué, et échoué véritablement dramatiquement. En conséquence, la crise des réfugiés continue de s'aggraver et la région continue d'être déstabilisée, menaçant les États-Unis et ses alliés.

Ce soir, j'en appelle à toutes les nations civilisées pour qu'elles nous rejoignent afin de chercher à mettre un terme au massacre et au bain de sang en Syrie, ainsi qu'à mettre fin au terrorisme de toutes sortes et de tous types.

Nous demandons à Dieu de nous inspirer pendant que nous faisons face au défi de notre monde très troublé. Nous prions pour les vies des blessés et pour les âmes de ceux qui sont décédés. Et nous espérons qu'aussi longtemps que l'Amérique sera synonyme de justice, la paix et l'harmonie finiront par l'emporter.

Bonne nuit. Et que Dieu bénisse l'Amérique et le monde entier. Merci.»