Hier, la Russie a annoncé la fin des combats à Alep et l'évacuation des quelque 100 000 civils pris en souricière. Cette annonce a bien peu rassuré les Nations unies, qui craignent que l'énoncé russe ne soit que de la poudre aux yeux pour faire oublier les rapports de massacres de civils qui se multiplient. Un point de vue que partage Louise Arbour. L'ancienne haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU a accordé une entrevue exclusive à La Presse.

« Ce qui est clair, c'est qu'il y a en ce moment des exactions en Syrie, et à Alep-Est en particulier, qui donnent à croire que des crimes contre l'humanité sont commis. Et la communauté internationale est incapable de formuler la moindre initiative pour y mettre fin. Nous sommes au summum de l'impotence ».

Pionnière du droit pénal international, ancienne procureure en chef du tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, la Québécoise Louise Arbour est outrée par les rapports d'exactions qui émanent de la Syrie et l'incapacité de la communauté internationale à protéger les civils dans cette guerre qui a fait plus de 400 000 morts en cinq ans.

« Chaque fois, que ce soit après le Rwanda, l'ex-Yougoslavie, le Sri Lanka, ou le Darfour, on se dit : plus jamais. Quand on va regarder dans notre rétroviseur dans quelques années et qu'on va repenser à Alep, on va se demander où on était ! », a dit à La Presse Mme Arbour, jointe chez elle.

Rapports d'exactions multiples

Selon des informations diffusées par les Nations unies hier, au moins 82 civils, dont des femmes et des enfants, auraient été exécutés à la maison ou en pleine rue par les forces fidèles au président Bachar al-Assad alors qu'ils essayaient de fuir les derniers secteurs d'Alep-Est où de violents combats avaient lieu.

Pour sa part, l'UNICEF craignait pour la vie d'une centaine d'enfants, séparés de leurs familles, qui étaient terrés dans un édifice pilonné par les bombardements.

Plusieurs organisations internationales s'inquiètent aussi du sort d'hommes et d'enfants disparus après avoir réussi à quitter la zone des combats.



L'ancienne juge de la Cour suprême du Canada a consacré une grande partie de sa carrière au droit international. Elle a récemment reçu le prix Tang pour son travail en matière de justice criminelle internationale.

Selon Mme Arbour, le long conflit syrien, qui a entraîné dans la mort au moins 400 000 personnes en plus de pousser des millions de personnes à l'exil, montre « les failles profondes » à la fois du Conseil de sécurité des Nations unies et du système de justice international qu'elle a contribué à mettre sur pied.

Impuissante justice

Aujourd'hui, l'avocate de renommée internationale fait de durs constats. Selon Mme Arbour, la Cour pénale internationale a failli à sa vocation en ne permettant pas de freiner les pires crimes contre la population civile. « La Cour pénale internationale pensait qu'en établissant la responsabilité pénale des chefs d'État, la Cour aurait un effet dissuasif. C'était utopique ! Les gens n'arrêtent pas de s'entretuer parce qu'ils veulent un jour éviter la prison », dit celle qui a notamment amené devant la justice internationale l'ancien leader serbe Slobodan Milosevic, l'accusant de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide.

« De plus, la Cour ne sera pas crédible tant que tous les pays n'y seront pas assujettis », ajoute-t-elle en rappelant que la Syrie n'a jamais adhéré au Statut de Rome qui a permis la création de la cour.

Si elle désespère de la capacité de la justice internationale à prévenir l'irréversible, Mme Arbour est convaincue que le leader syrien Bachar al-Assad aura un jour à répondre de ses actes.

« Il y a beaucoup d'organisations qui compilent des preuves qui pourront être étudiées par un tribunal. De la justice, il y en aura un jour, mais d'ici là, les gens vont continuer à mourir sous nos yeux », déplore-t-elle.

Maudit veto

Si elle est déçue par l'inefficacité de la justice internationale, Louise Arbour croit cependant que « l'ultime responsabilité » du conflit syrien revient aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité, soit les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Chine et la Russie.

Depuis 2011, la Russie, grande alliée de Bachar al-Assad et partie au conflit, utilise systématiquement le veto réservé aux cinq grandes puissances pour torpiller toute résolution du Conseil de sécurité visant à protéger les civils. Avec l'aval de la Chine.

« Nous assistons à une faillite totale du Conseil de sécurité. On a donné le mandat à cet organe de protéger les humains. Ça s'est avéré utopique. Le droit de veto a été donné aux cinq grandes puissances non pas pour protéger la sécurité mondiale, mais pour protéger leurs intérêts nationaux, dit Louise Arbour. On voit maintenant le résultat ».