Au-delà de la destruction du patrimoine religieux, des morts et de la faim, le «grand problème» des chrétiens de Syrie est «l'exode», un exode que le Canada a encouragé, déplore l'archevêque d'Alep, Jean-Clément Jeanbart. De passage au Canada à l'occasion du Congrès suprême des Chevaliers de Colomb, qui se termine aujourd'hui à Toronto, Monseigneur Jeanbart s'est entretenu avec La Presse au sujet de la guerre qui déchire la Syrie depuis plus de cinq ans et dont la fin approche, croit-il.

Plus de cinq ans après le début de la guerre civile, croyez-vous que l'issue est proche ?

Si vous m'aviez posé cette question il y a six mois, j'aurais hésité à vous répondre. Maintenant, je pense que les choses s'annoncent bien et qu'on a des raisons de croire que cette guerre-là sera terminée très bientôt. Peut-être même avant la fin de l'année. Je ne dis pas que la guerre cessera entièrement, mais au moins [ce niveau de] violence. Le siège d'Alep qui dure depuis cinq ans sera défait assez prochainement et, petit à petit, la solution va arriver.

Vous parlez du siège d'Alep. Comment les chrétiens d'Alep vivent-ils la guerre ?

Ils la vivent difficilement parce qu'ils ont peur, ils sont terrorisés, il y a des bombardements des quartiers, des mortiers qui tombent sur leurs maisons et sur eux. Il y avait aussi dans le temps, maintenant un peu moins, le risque d'incursion des terroristes dans la ville. Ils manquent de beaucoup [de choses], ils vivent modestement, pauvrement, mais ils continuent à vivre. Notre grand problème actuellement est l'émigration, l'exode, qui est encouragé par certains pays, mais qui peut nous rendre vraiment un très mauvais service et condamner cette Église deux fois millénaire, l'Église des premiers chrétiens, à la disparition, ce qui serait un grand drame.

Justement, dans quel état se trouve l'Église syrienne, aujourd'hui ?

Il y a eu beaucoup d'églises détruites, mais il y en a aussi beaucoup qui restent. Pour ce qui est du patrimoine ancien, archéologique, il n'y a pas énormément de destruction, à ce que je sache, mais nous avons perdu plus de 100 églises [actives]. Ce sont des églises récentes qui ont été atteintes. [...] Grâce à Dieu, nous sommes encore au-delà de la moitié [de la communauté], mais nous espérons que la paix arrive et se fasse pour que ceux qui sont là restent. Après la guerre, il y aura beaucoup de travail, la vie sera différente, la liberté plus grande, nous aurons un nouveau pays où nous aurons la possibilité de vivre ensemble, respectueusement, les uns avec les autres. [...] Vous savez, jusqu'à maintenant, nous vivons avec nos frères musulmans dans les villes. Le problème, ce sont les musulmans qui viennent de l'étranger et qui n'ont rien à voir avec nous. Les musulmans syriens sont habitués à vivre avec les chrétiens. Nous vivons très bien avec eux.

Vous déplorez l'exode des chrétiens et les pays qui l'encouragent, c'est clairement un reproche au Canada ?

J'aime le Canada, je trouve que c'est un acte de charité, mais je pense que vous auriez pu nous aider en faisant arrêter ces violences, en poussant les nations à ne pas financer les terroristes et à ne pas envoyer des armes et des mercenaires. Mais prendre nos fidèles chez vous... Vous avez un beau pays, très agréable, vous êtes gentils et accueillants, je n'ai pas à [vous] critiquer, mais vous êtes un peu trop gentils actuellement. [...] Ce n'est pas ce qui peut nous aider. Si vous nous voulez du bien, aidez-nous à rester chez nous.

Mais il y a des gens qui meurent en Syrie, faut-il les inciter à rester chez eux ?

Non ! Ceux qui meurent, c'est autre chose. Mais les statistiques montrent qu'il y a très peu de morts parmi les chrétiens. Moi, j'ai fait une étude, il y en a, mais proportionnellement, ça ne représente pas ce que certains prétendent. Bien sûr, quand il y a danger de mort, je suis tout à fait d'accord, je serais le premier à leur dire de s'en aller. [...] Il y a des cas malheureux, oui, mais ce n'est pas aussi important que ce qu'on pense.

En 2012, un an après le début de la guerre, vous avez dit faire confiance au président Bachar al-Assad... Est-ce toujours le cas ?

Jusqu'à maintenant, pour éviter une désintégration, une guerre civile, le président Assad peut être une solution provisoire. Il sera là jusqu'à établir un gouvernement qui puisse gérer le pays et il s'en ira de lui-même. Je pense qu'il ne tient pas à ce poste qui est vraiment très difficile et qui demande beaucoup de sacrifices.

Vous pensez qu'il ne s'accrochera pas au pouvoir ?

Non, non, non. Certainement pas. Il a tout ce qu'il faut pour être heureux ailleurs. [...] À moins que le peuple le pousse malgré lui, mais je pense qu'il résistera.