Les Kurdes de Syrie ont proclamé jeudi une région fédérale dans le nord du pays, un modèle qu'ils espèrent voir s'appliquer à l'ensemble du territoire dans la période post-guerre.

Mais cette initiative inédite, qui s'apparente à une autonomie de facto, a été immédiatement rejetée par le régime de Bachar al-Assad et l'opposition, qui négocient à Genève pour tenter de mettre fin à cinq ans de conflit.

Exclus de ce processus, les Kurdes ont voulu envoyer un message fort sur leur détermination à décider de leur avenir, d'autant plus qu'ils sont devenus un acteur incontournable dans le conflit, notamment dans la lutte contre le groupe djihadiste Etat islamique (EI).

L'annonce a été faite à Rmeilane (nord-est) lors d'une réunion de plus de 150 représentants de partis kurdes, arabes et assyriens, selon un journaliste de l'AFP.

«Le système fédéral a été approuvé pour la région Rojava (Kurdistan syrien) - Nord de la Syrie», a dit Sihanouk Dibo, un responsable du Parti de l'union démocratique (PYD), principal parti kurde en Syrie.

Il s'agit d'unir les trois «cantons» kurdes (Afrine, Kobané et Jaziré) et les zones conquises ces derniers mois par les forces kurdes au sein de la zone d'«administration autonome» mise en place depuis le début du conflit.

Une «assemblée constituante» de 31 membres a été élue et sera responsable de faire appliquer la décision sur le terrain dans les six prochains mois, a déclaré à l'AFP sa co-présidente Hadiya Youssef, une Kurde.

«Initiative unilatérale»

D'autres régions qui seront libérées par les milices kurdes pourront se joindre à la fédération.

«Nous voulons libérer Raqa, Deir Ezzor, et toute la Syrie», a déclaré à la presse Mansour al-Souloum, l'autre co-président de l'assemblée, un Arabe, en référence aux deux bastions de l'EI dans le nord et l'est.

Les Kurdes font valoir que leur projet est fondé sur une base «territoriale» et non «ethnique», avec des représentants de la population arabe et d'autres minorités dans ces zones.

Mais l'idée même de fédéralisme nourrit les craintes d'une partition du pays déjà morcelé entre les multiples belligérants.

Les États-Unis, qui ont soutenu et même encouragé les Kurdes dans leur lutte contre l'EI, ont prévenu qu'ils ne reconnaîtraient pas la création d'une région unifiée et autonome kurde et refuseraient le démantèlement du pays.

La région concernée, frontalière de la Turquie, va très certainement provoquer l'ire d'Ankara qui considère les forces kurdes syriennes comme «terroristes» à l'instar du Parti kurde turc des travailleurs du Kurdistan (PKK). Une source diplomatique turque a signalé mercredi que «les initiatives unilatérales ne peuvent pas être valables».

«Aucune valeur juridique»

Peu après l'annonce, une source au ministère des Affaires étrangères à Damas a «mis en garde toute partie ayant l'intention de porter atteinte à l'unité du territoire», estimant que «toute annonce en ce sens» n'avait «aucune valeur juridique».

De son côté, la Coalition de l'opposition a estimé que «la forme de l'État syrien, centrale ou fédérale» devait être décidée à l'issue de négociations.

Dès le début de la crise en 2011, les Kurdes, qui représentent 10% de la population, ont choisi la neutralité par rapport au régime et aux rebelles.

Mais avec les attaques de l'EI sur leurs zones, ils ont pris un rôle de premier plan dans la lutte contre les djihadistes, avec le soutien américain.

Ils contrôlent désormais 14% du territoire contre 9% en 2012, selon le géographe Fabrice Balanche. Et d'après l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), ils contrôlent les trois quarts des 800 km de frontière avec la Turquie.

Les responsables kurdes syriens ont souligné toutefois que le fédéralisme ne constituait pas un premier pas vers l'indépendance.

Pour Ibrahim Ibrahim, un responsable kurde, il est nécessaire «d'adopter le fédéralisme à l'échelle de toute la Syrie». «Une nouvelle Constitution déterminera la relation entre le pouvoir central à Damas et les districts fédéraux».