Plus de dix milliards de dollars ont été promis jeudi lors de la conférence de donateurs à Londres pour aider les millions de Syriens épuisés par la guerre et tenter d'endiguer la crise des réfugiés qui menace de déstabiliser les pays d'accueil.

Les pays donateurs ont donc atteint leur objectif: faire mieux que lors de la précédente conférence, organisée en 2015 au Koweït, où seulement 3,3 milliards de dollars avaient été récoltés sur les 8,4 milliards réclamés.

Sur les 10 milliards promis, 5,6 milliards de dollars doivent être versés en 2016 et 5,1 d'ici 2020.

«La conférence d'aujourd'hui a vu la plus grosse somme jamais réunie en un jour en réponse à une crise humanitaire», s'est félicité le premier ministre britannique David Cameron lors d'une conférence de presse.

«Ce qui a été accompli aujourd'hui n'est pas une solution à la crise. Nous avons toujours besoin de voir une transition politique», a dit le chef de l'exécutif britannique, alors que les pourparlers de paix lancés à Genève ont été suspendus mercredi.

«Mais avec les engagements formulés aujourd'hui, a-t-il ajouté, notre message adressé au peuple syrien et à la région est clair: nous nous tiendrons à vos côtés et nous vous soutiendrons aussi longtemps qu'il le faudra».

Réunis au Queen Elizabeth II Conference Centre en plein coeur de la capitale britannique, des dirigeants du monde entier avaient présenté tout au long de la journée leurs promesses de dons pour répondre au drame syrien, alors que, selon l'ONU, la situation humanitaire «a empiré au cours de l'année écoulée».

Soucieux de montrer l'exemple, le gouvernement britannique, l'un des plus gros donateurs avec les États-Unis et l'Allemagne, a promis 1,74 milliard de dollars d'ici 2020.

«Jour d'espoir»

La chancelière allemande Angela Merkel a promis elle de débloquer 2,3 milliards d'euros (plus de 3,5 milliards de dollars) d'ici 2018.

Ces dons sont «l'un des éléments qui contribueront à faire que les gens n'auront pas besoin de se lancer dans de périlleux voyages vers l'Europe», a dit celle dont la popularité s'est érodée dans son pays pour avoir endossé l'habit de protectrice des réfugiés. «C'est un jour d'espoir», a-t-elle ajouté.

«Quand on voit des personnes réduites à manger de l'herbe et des animaux sauvages pour survivre au jour le jour, cela ne peut que choquer toute personne civilisée. Et nous devons tous apporter une réponse à cela», a déclaré le secrétaire d'État américain Kerry, annonçant 890 millions de dollars supplémentaires (pour 2015-2016).

Pour le premier ministre jordanien, Abdallah Nsour, le «résultat est historique en termes de dons. Mais c'est aussi une conférence politique par excellence, car elle investit dans la sécurité et la stabilité de nombreux pays».

Parti en mars 2011 de manifestations pacifiques contre le régime de Bachar al-Assad, le conflit syrien a fait plus de 260 000 morts et provoqué une crise humanitaire majeure avec, sur le territoire syrien, quelque 13,5 millions de personnes en situation de vulnérabilité ou déplacées.

Cette guerre a également contraint 4,6 millions de Syriens à trouver refuge en Jordanie, Liban, Turquie, Irak ou Égypte, tandis que des centaines de milliers rejoignaient l'Europe.

Si cette crise pèse sur les gouvernements des pays européens, elle menace directement la stabilité des pays voisins de la Syrie, à l'instar de la Jordanie, qui accueille 635 000 Syriens.

«Nous faisons de notre mieux (...), mais je dois vous dire que nous atteignons nos limites», a déclaré le roi Abdallah de Jordanie.

1,1 million d'emplois

Les investissements annoncés jeudi doivent permettre de créer d'ici 2018 jusqu'à 1,1 million d'emplois pour les réfugiés syriens et les communautés autochtones qui les côtoient, selon la déclaration finale de la conférence.

Les pays donateurs se sont également donnés pour objectif de fournir une éducation de qualité à 1,7 million d'enfants.

Régissant aux annonces de la conférence, l'organisation OXFAM a estimé qu'il s'agissait «potentiellement d'un tournant».

L'argent n'est pas tout, a toutefois souligné l'ONG. «Les gouvernements présents à Londres ne sauraient se reposer sur leurs lauriers quand les négociations à Genève vacillent et que la violence continue».

Le Syrien Fadi Hallisso, cofondateur de l'association «Basmeh & Zeitooneh», qui oeuvre à aider les réfugiés au Liban et en Turquie, a estimé «qu'avec ces promesses, nous espérons maintenant pouvoir créer davantage d'emplois pour les réfugiés et les communautés d'accueil».

«Cela aura un meilleur impact sur les efforts menés pour riposter au terrorisme et à la radicalisation dans la région» que les bombardements, a-t-il ajouté.

Percée du régime à Alep 

Sur le terrain, le régime de Damas, appuyé par les frappes de son allié russe, effectuait une importante percée militaire à Alep (nord), rendant vaines toutes discussions sur le front diplomatique selon l'opposition. L'armée syrienne est entrée jeudi dans deux localités chiites assiégées depuis trois ans par les rebelles.

Paris et Washington ont dénoncé ces frappes, et ont lié le naufrage du processus de Genève à la situation sur le terrain.

«La poursuite de l'assaut des forces du régime syrien - renforcées par les frappes russes (...) a clairement montré le désir de chercher une solution militaire plutôt que de permettre une solution politique», a accusé M. Kerry.

La France a elle aussi condamné «l'offensive brutale menée par le régime syrien, avec le soutien de la Russie». Son ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a jugé que les «circonstances dramatiques» sur le terrain «privaient de sens» les discussions de Genève «auxquelles ni le régime de Bachar al-Assad ni ses soutiens ne souhaitent visiblement contribuer de bonne foi».

Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), cette avancée est la plus importante du régime dans la province d'Alep depuis 2012. Elle a été possible notamment grâce aux bombardements intensifs menés par l'armée de l'air russe contre les positions rebelles.

Kerry réclame l'arrêt des bombardements russes

Au cours d'une discussion «musclée» avec son homologue russe Sergueï Lavrov, M. Kerry a rappelé à la Russie qu'une résolution du conseil de sécurité de l'ONU appelait à un cessez-le-feu immédiat en Syrie pour permettre l'acheminement de l'aide aux villes assiégées.

«J'ai eu une conversation avec le ministre Lavrov ce matin. Nous sommes tombés d'accord sur le fait qu'il faudra discuter de la manière d'appliquer le cessez-le-feu», a déclaré à Londres M. Kerry.

À Moscou, le ministère des Affaires étrangères a annoncé que MM. Lavrov et Kerry avaient déploré la suspension des négociations de paix syriennes et exprimé l'espoir que cette pause serait «aussi courte que possible».

Après six jours de discussions avec le régime d'une part, l'opposition de l'autre, l'émissaire de l'ONU Staffan de Mistura a annoncé mercredi soir à Genève une «pause» dans le processus de discussions sur la Syrie censé enclencher une solution politique au conflit.

Le diplomate onusien s'est refusé à parler «d'échec» et a déclaré avoir fixé la date du 25 février pour une reprise des discussions, mais celle-ci semble tout sauf certaine.

La suspension de ces discussions «montre à quel point les divisions sont profondes», a estimé le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, à l'ouverture de la conférence des donateurs à Londres.

«Les jours qui viennent doivent être utilisés pour revenir à la table des négociations, et non pour sécuriser davantage de gains sur le champ de bataille», a-t-il insisté, tandis que le premier ministre britannique David Cameron a appelé à «continuer» à travailler pour une solution politique.

PLUS DE 260 000 MORTS

Plus de 260 000 morts, plus de la moitié de la population déracinée et un pays en ruines: déclenchée il y a près de cinq ans, la révolte en Syrie contre le régime de Bachar al-Assad s'est muée en une guerre dévastatrice.

Victimes

L'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), qui dispose d'un large réseau de sources en Syrie, a comptabilisé 260 758 morts, dans leur grande majorité des combattants (bilan du 31 décembre 2015).

Plus de 76 000 civils ont été tués dans le conflit, qui a débuté par la répression de manifestations pacifiques et évolué en une guerre complexe opposant nombre d'acteurs et impliquant des puissances étrangères.

Le bilan n'inclut pas les milliers de disparus dont on ignore le sort, notamment dans les geôles du régime, et des centaines de membres des forces loyalistes chez les rebelles et les groupes djihadistes, dont l'organisation d'État islamique.

Selon un bilan de l'OSDH rendu public en mars 2015, près de 13 000 Syriens sont morts sous la torture dans les prisons du régime depuis le début du conflit. Plus de 200 000 personnes y ont été détenues.

Une organisation humanitaire syrienne a dénoncé fin janvier les incessants bombardements sur les hôpitaux et leurs «conséquences désastreuses» sur les populations. Quelque 177 hôpitaux ont été détruits et près de 700 membres du personnel de santé tués depuis 2011, selon elle.

Réfugiés et déplacés

Dans ce pays qui comptait quelque 23 millions d'habitants avant le conflit, 13,5 millions de personnes sont affectées ou déplacées par la guerre, selon l'ONU (chiffres du 12 janvier 2016).

Environ 486 700 personnes vivent actuellement dans des régions assiégées par l'armée ou par les rebelles, selon l'ONU. Des dizaines de personnes y sont mortes de malnutrition et du manque d'assistance médicale.

La guerre a aussi poussé 4,7 millions de personnes à fuir le pays. «C'est la plus grande population de réfugiés pour un seul conflit en une génération», affirmait en juillet 2015 le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR).

La Turquie est aujourd'hui la principale terre d'asile des réfugiés syriens, accueillant sur son sol entre 2 et 2,5 millions de Syriens. Quelque 250 000 d'entre eux seulement vivent dans des camps, les autres se sont installés dans les grandes villes du pays.

Le Liban accueille quelque 1,2 million de réfugiés syriens, selon des sources officielles. Plus des deux tiers des réfugiés vivent dans ce pays dans une «pauvreté extrême», selon l'ONU.

En Jordanie, quelque 630 000 sont enregistrés auprès du HCR, mais les autorités évaluent leur nombre à plus d'un million. Quelque 225 000 Syriens sont réfugiés en Irak et 137 000 en Égypte.

Les réfugiés font face à la pauvreté, à des problèmes de santé et des tensions croissantes avec les communautés locales où ils vivent dans des structures provisoires et des conditions extrêmement difficiles.

Une grande majorité des réfugiés syriens se trouvent toujours dans les pays de la région, mais ils sont de plus en plus nombreux à se rendre en Europe, à leurs risques et périls, grâce à des réseaux de passeurs.

Conséquences économiques

Selon des experts, le conflit a fait revenir trois décennies en arrière l'économie du pays, privé de quasiment tous ses revenus et dont la majorité des infrastructures sont détruites.

L'économie a connu une désindustrialisation massive en raison de la fermeture des entreprises, des faillites, des pillages et des destructions.

Les exportations ont chuté de 90 % depuis le début de la révolte, selon un haut responsable, alors que le pays est soumis à de sévères sanctions internationales.

Selon le ministre du Pétrole, les pertes directes et indirectes dans le secteur pétrolier et gazier s'élèvent à 58 milliards de dollars.

En mars 2015, une coalition de 130 ONG affirmait que la Syrie vivait quasiment sans lumières, 83 % ne fonctionnant plus en raison de la guerre. La ville d'Alep (nord) est la plus touchée, avec 97 % de ses lumières éteintes la nuit.