La réunion internationale sur la Syrie, ouverte vendredi matin à Vienne, s'est achevée après huit heures de négociations, avec des points d'accord, mais un désaccord majeur sur le futur rôle de Bachar al-Assad, et reprendra dans deux semaines, a annoncé le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius.

«Nous avons abordé tous les sujets, même les plus difficiles. Il y a des points de désaccord, mais nous avons suffisamment avancé pour que nous nous retrouvions, dans la même configuration, dans deux semaines», a-t-il déclaré.

«Il y a des points sur lesquels nous ne sommes pas d'accord, le principal point de désaccord étant le rôle futur de M. Bachar al-Assad», a ajouté le chef de la diplomatie française. «Mais il y a un certain nombre de points sur lesquels nous nous sommes mis d'accord, notamment sur le processus de transition, sur la perspective d'élections et la façon dont tout cela devait être organisé et sur le rôle des Nations unies».

Les membres de la vingtaine de délégations présentes dans la capitale autrichienne, dont celles des États-Unis, de la Russie, de l'Iran et de l'Arabie Saoudite, ont quitté l'hôtel Impérial, la plupart sans faire de déclaration. Un communiqué commun devrait être publié en fin d'après-midi.

«Des problèmes importants subsistent, mais nous sommes parvenus à des points d'accord. Cette réunion n'a pas été facile, mais elle a été historique», a pour sa part résumé la représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères, l'Italienne Federica Mogherini.

La suite des tractations internationales sur la Syrie aura lieu «sous les auspices des Nations unies», a-t-elle ajouté.

Un tournant diplomatique



Les principaux acteurs diplomatiques du dossier syrien, dont les États-Unis, la Russie et les deux rivaux iranien et saoudien, se sont réunis pour la première fois vendredi à Vienne afin de discuter des possibilités de règlement politique du conflit qui fait rage depuis plus de quatre ans.

La simple présence de protagonistes aux positions encore très divergentes aura été perçue comme un progrès, selon plusieurs observateurs.

Tournant diplomatique majeur: l'Iran, allié du régime de Damas, a participé aux discussions pour la première fois, signe supplémentaire du retour de Téhéran dans la communauté internationale quelques mois après la signature d'un accord sur son potentiel nucléaire.

Arrivé jeudi dans la capitale autrichienne, le chef de la diplomatie américaine John Kerry y a rencontré séparément ses homologues iranien Mohammad Javad Zarif et russe Sergueï Lavrov, fidèles soutiens du régime syrien dans le conflit qui a fait plus de 250 000 morts depuis 2011.

«Il est désormais temps d'accorder à l'Iran une place à la table», a estimé M. Kerry, entérinant le revirement de la position américaine, jusque-là hostile à cette idée.

Pour le secrétaire d'État américain, les pourparlers de Vienne sont «l'occasion la plus prometteuse de trouver une ouverture politique», même si Washington ne nourrit pas d'espoir d'une solution immédiate.

Un premier round de discussions la semaine dernière à Vienne entre ministres des Affaires étrangères américain, russe, saoudien et turc, aux divergences marquées, a permis de conclure à la possibilité de discuter ensemble. Les quatre partenaires se sont de nouveau retrouvés jeudi soir.

La réunion a été élargie vendredi matin à une vingtaine de diplomaties occidentales et du Moyen-Orient, avec notamment la présence de représentants chinois, libanais et égyptiens, des ministres des Affaires étrangères français Laurent Fabius, britannique Philip Hammond, allemand Frank-Walter Steinmeier, ainsi que l'Italienne Federica Mogherini, qui dirige la diplomatie européenne.

«Nous avons enfin réussi à rassembler autour de la même table tout le monde sans exception», s'était félicité Sergueï Lavrov, qui a également vu le ministre iranien jeudi.

«Cette réunion est très opportune, car c'est la première fois depuis le début du conflit syrien que l'ensemble des acteurs majeurs se réunit», a pour sa part déclaré Laurent Fabius à son arrivée à Vienne.

Son homologue allemand avait ajouté : «Tout le monde est prêt à faire un pas en direction d'une solution politique au conflit, qui peut sembler éloignée aujourd'hui. Mais c'est un premier pas important».

À Moscou, un porte-parole du Kremlin, Dimitry Peskov, a toutefois tempéré cet optimisme en estimant «qu'un règlement politique sera difficile à atteindre tant que les groupes extrémistes et terroristes n'auront pas été durement frappés».

Pour l'instant, il n'est pas question d'une participation du gouvernement syrien ou de son opposition.

«Renversé par la force»

La principale pierre d'achoppement des discussions concerne l'avenir du régime de Bachar al-Assad.

Washington, Paris, leurs alliés occidentaux et arabes veulent négocier un «calendrier précis» de départ du président syrien, avait affirmé cette semaine Laurent Fabius. «Il faudra à un moment ou à un autre que dans cette transition politique il ne soit plus en fonction», a-t-il ajouté vendredi.

La Russie, qui a lancé le 30 septembre une campagne de bombardements aériens en Syrie visant officiellement les groupes «terroristes», est accusée de pilonner les rebelles syriens pour renforcer Bachar al-Assad. Moscou et Téhéran insistent pour que le président syrien joue un rôle dans la transition politique en Syrie.

L'Iran chiite apporte un soutien financier et militaire direct à Damas alors que l'Arabie saoudite soutient des groupes rebelles et participe aux frappes aériennes de la coalition internationale menée par les États-Unis contre le groupe djihadiste État islamique (EI).

Riyad affiche une position tranchée : Bachar al-Assad «partira soit à l'issue d'un processus politique soit parce qu'il sera renversé par la force», a déclaré le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, à la BBC jeudi.

Avant son départ pour Vienne, le ministre iranien Mohammad Javad Zarif avait insisté, cité par l'agence de presse iranienne IRNA, sur les principes de «non-ingérence dans les affaires intérieures de la Syrie», de «respect de la souveraineté du pays et du droit du peuple syrien à décider de son destin».

PHOTO JOE KLAMAR, AFP

La réunion s'est ouverte, dans un grand hôtel de la capitale autrichienne, vers 10 h, heure locale.

89 morts dans des attaques contre des bastions rebelles

Les attaques contre des bastions rebelles près de Damas et dans le nord de la Syrie ont fait vendredi 89 morts, dont 17 enfants, a annoncé l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).

Ainsi 57 personnes, dont cinq enfants, ont péri le matin par des roquettes tirées par les forces du régime contre Douma, à l'est de Damas, et 32 autres, dont 12 enfants, l'après-midi par des raids contre la ville septentrionale d'Alep, a indiqué cette organisation qui n'était pas en mesure de dire s'il s'agissait d'avions russes ou syriens.

Au moins 12 roquettes ont visé un marché à Douma, fief rebelle situé dans la Ghouta orientale, à l'est de Damas, a déclaré à l'AFP Rami Abdel Rahmane, le directeur de l'OSDH.

La Coalition nationale syrienne, la principale composante de l'opposition politique en exil, a affirmé que «selon ses sources», il s'agissait d'avions russes.

Elle a rendu «la Russie, l'Iran et le régime de Bachar al-Assad responsables de la mort de civils et de massacres sauvages», les accusant de les avoir fait «coïncider avec les réunions de Vienne (...) pour entraver les efforts en vue de mettre fin à la violence».

Depuis le 30 septembre, la Russie mène des frappes en Syrie et dit viser des groupes «terroristes», mais les rebelles modérés et islamistes affirment au contraire qu'ils sont les véritables cibles des raids russes.

À Alep, deuxième ville de Syrie, dix personnes ont été tuées dans le quartier de Ferdous (sud), deux enfants à Salaheddine (ouest) et 20 - dont dix enfants - à al-Maghayer (centre), a affirmé l'OSDH, d'après qui des dizaines de personnes sont blessées ou portées disparues.

Sang et étals défoncés à Douma

Une vidéo publiée par le Comité de coordination de Douma, un groupe de militants locaux, montre des personnes gisant dans des flaques de sang au milieu d'étals défoncés.

Un garçon sous le choc se tient au milieu de la scène tandis que des adultes autour de lui semblent évacuer un blessé en criant «Allah Akbar» (Dieu est le plus grand).

Selon un photographe de l'AFP sur place, les tirs se sont produits tôt le matin alors que des habitants se rendaient au marché. Des dépouilles étaient empilées les unes sur les autres.

«Depuis que ton père a été tué dans le dernier massacre, ta mère te répétait sans cesse d'arrêter de travailler au marché», dit un homme en pleurant devant le corps sans vie d'un jeune garçon. «Pourquoi y es-tu allé? Pourquoi?», poursuit-il.

Jeudi, neuf personnes avaient été tuées par des raids de l'aviation syrienne contre un marché et un hôpital de la ville, selon un bilan de l'OSDH.

Des membres du personnel de l'hôpital avaient été blessés, limitant les capacités de soins des victimes des frappes de vendredi, d'après le photographe de l'AFP.

«Douma est l'une des villes qui a enregistré le plus de pertes humaines depuis le début de la guerre», a déclaré Rami Abdel Rahmane.

Cette capitale administrative de la banlieue de Damas, est assiégée par les forces du régime depuis près de deux ans et régulièrement prise pour cible par des raids aériens des forces gouvernementales.

En août, des frappes y avaient tué 117 personnes en une seule journée, soulevant un tollé international.