L'aviation militaire syrienne a multiplié dimanche les raids contre la ville stratégique de Jisr al-Choughour au lendemain de sa prise par Al-Qaïda et les rebelles, qui représente un nouveau revers pour le régime de Bachar al-Assad.

Au moins vingt raids ont visé, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), cette ville du nord-ouest située au carrefour des régions de Lattaquié à l'ouest, et d'Hama au centre, qui sont sous le contrôle du régime.

Aucun bilan n'était disponible dans l'immédiat, mais les bombardements menés samedi ont causé la mort d'au moins 27 personnes, dont 20 combattants, selon l'OSDH. «Le bilan devrait cependant s'alourdir avec les raids de la nuit et de dimanche matin», a indiqué le directeur de l'ONG, Rami Abdel Rahmane.

Des combats se poursuivaient en outre au sud de la ville qui comptait quelque 45 000 habitants avant le déclenchement du soulèvement de 2011. Selon l'OSDH, les forces du régime ont tenté en vain de libérer 30 soldats et 10 miliciens de l'Armée de défense nationale (ADN) faits prisonniers dans l'hôpital général qui se trouve dans le sud de la ville.

Pour sa part, la télévision syrienne a affirmé que l'armée avait tendu une embuscade «et a tué un groupe de terroristes» aux alentours de l'hôpital général.

La veille, des combattants du Front Al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda, et des groupes rebelles islamistes avaient pris le contrôle total de la cité, moins d'un mois après avoir mis la main sur Idleb, la capitale provinciale.

La prise de Jisr al-Choughour peut être considérée comme «un tournant», car elle marque «la fin de la phase de contre-offensive loyaliste entamée au printemps 2013», estime Thomas Pierret, spécialiste de l'islam en Syrie.

Pour lui, le régime est «en position de grande faiblesse, ce qui ne signifie pas nécessairement que sa chute est pour demain». «Il avait survécu en 2012 alors qu'il subissait des désastres militaires d'une plus grande ampleur».

«Mais c'est un phénomène probablement durable, car il résulte de causes structurelles, en l'occurrence l'épuisement des effectifs loyalistes qui contraint le régime à abandonner des régions aux rebelles pour se concentrer sur la défense d'objectifs prioritaires», souligne l'expert.

Coalition hétéroclite

La présence du régime dans la province d'Idleb se limite désormais aux localités d'Ariha, à 25 km de Jisr al-Choughour, d'Al-Mastoumé et de Qarlmid, proche d'Ariha, où se trouvent d'importantes casernes de l'armée.

Les territoires qu'il contrôle sont quasiment entièrement encerclés par différentes forces jihadistes, comme le groupe Etat islamique (EI), ou des forces islamistes.

La coalition ayant pris Jisr al-Choughour, qui se fait appeler l'Armée de la Conquête, est un regroupement de diverses factions islamistes. Outre le Front Al-Nosra, elle compte des formations islamistes comme Ahrar al-Cham, des Frères musulmans, différents groupes jihadistes et des bataillons de ce qui reste de l'Armée syrienne libre (ASL).

Selon Thomas Pierret, une telle coalition aussi hétéroclite a été rendue possible par un accord entre trois parrains régionaux des rebelles, l'Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar, auparavant rivaux.

Une source militaire syrienne, citée par l'agence officielle Sana, a indiqué dimanche que «des unités de l'armée se sont redéployées avec succès dans les alentours de Jisr al-Choughour pour éviter des pertes parmi la population civile».

L'agence Sana a fait état «d'un horrible massacre de plus de 30 civils, dont des femmes et des enfants, commis par les groupes terroristes après être entrés à Jisr al-Choughour».

Elle ne donne aucun détail sur cet incident et l'OSDH n'a pas corroboré l'information.

L'ONG, qui dispose d'un large réseau d'informateurs, avait dénombré samedi au moins 60 cadavres des forces du régime à Jisr al-Choughour. Elle a aussi rapporté l'exécution d'au moins 23 prisonniers détenus dans la ville par des soldats battant en retraite, tandis qu'Al-Nosra a publié sur internet des photos de 14 corps maculés de sang, affirmant qu'il s'agissait d'un massacre perpétré par le régime.