De grandes ONG accusent jeudi la communauté internationale d'avoir «trahi ses idéaux» en n'ayant pas atténué la souffrance des millions de civils syriens dont la vie a été bouleversée par quatre années de guerre.

Dans un rapport intitulé Échec coupable en Syrie, 21 organisations de défense de droits de l'homme critiquent l'incapacité des États à faire appliquer une série de résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU visant à protéger les civils et prévoyant un plus grand accès à l'aide humanitaire pour des millions de Syriens.

«Les résolutions et l'espoir qu'elles apportaient sont devenus vides de sens pour les civils. Elles ont été ignorées (...) par les belligérants, par d'autres pays membres de l'ONU et même par des membres du Conseil de sécurité», selon le rapport.

«Nous avons trahi nos idéaux, car nous ne sommes pas censés regarder des gens souffrir en 2015», affirme Jan Egeland, secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés qui a contribué au rapport.

Les ONG accusent les forces du régime de recourir systématiquement au viol et au harcèlement sexuel comme méthodes de guerre, et les groupes rebelles, de kidnapper des femmes et des enfants en vue d'échanges de prisonniers.

Les belligérants sont également accusés de viser des infrastructures civiles sans discernement, comme les écoles.

«Partout en Syrie, les enfants ne reçoivent pas d'éducation, car nous ne pouvons pas parvenir jusqu'à eux, de nombreuses écoles ont été détruites», s'inquiète Roger Hearn, directeur régional de Save the Children, une des ONG signataires avec notamment Oxfam et International Rescue Committee.

D'après un rapport de l'Unicef, 2,6 millions d'enfants syriens ne sont pas scolarisés.

Terreau pour l'extrémisme

La crise en Syrie a commencé le 15 mars par des manifestations pacifiques qui ont été réprimées dans le sang, déclenchant une guerre civile qui a fait plus de 210 000 morts, dont 76 000 pour la seule année 2014, la plus sanglante du conflit, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme.

Les violences ont en outre contraint plus de 11,2 millions de Syriens à quitter leurs foyers, donnant lieu à ce que l'ONU présente comme la pire crise de réfugiés en 20 ans.

Les ONG affirment que 7,8 millions de Syriens vivent dans des zones définies par l'ONU comme «difficiles d'accès» pour les livraisons d'aide, soit le double qu'en 2013.

Alors que les besoins sont croissants, le financement n'est pas à la hauteur : seuls 57 % des fonds nécessaires au soutien des civils et les réfugiés syriens ont été fournis en 2014 contre 71 % en 2013.

L'ONU aura besoin de près de 8,4 milliards de dollars d'aide pour les civils l'année prochaine, a indiqué à l'AFP Jan Egeland.

Selon ces ONG, la catastrophe humanitaire en Syrie «entache la conscience de la communauté internationale».

«Nous n'apportons aucun espoir pour des millions de jeunes Syriens (...) comment ne pas croire qu'ils soient facilement attirés par l'extrémisme?», déplore M. Egeland.

«La situation doit changer»

La guerre entre le régime et les rebelles et la souffrance des civils ont été éclipsées l'année dernière par les atrocités commises par les jihadistes du groupe armé État islamique (EI), qui contrôlent de larges territoires dans ce pays et en Irak voisin.

Ce groupe, dont les actes suscitent une indignation mondiale, revendique des décapitations, des crucifixions, des enlèvements et des traites d'«esclaves».

Dans un rapport distinct, Médecins sans frontières (MSF) estime qu'il est «absolument impératif» d'apporter une aide humanitaire internationale «à grande échelle».

L'ONG s'alarme notamment du sort des civils blessés par les barils d'explosifs largués par les forces armées du régime à Alep, sur les quartiers rebelles de cette grande ville du nord. Le régime dément l'utilisation de ces barils.

En raison d'un manque chronique d'équipements médicaux, les médecins sont souvent obligés de procéder à des amputations alors qu'en temps normal les membres des blessés pourraient être sauvés, indique MSF.

Trouver un fauteuil roulant est quasi impossible et les prothèses manquent, déplore l'ONG.

Selon M. Egeland, le monde continuera de faire face aux conséquences de la crise syrienne «pour les deux prochaines générations».

«Nous avons espéré un changement il y a un an, et nous avons échoué», dit-il. «Aujourd'hui, en 2015, la situation peut changer. Elle doit changer».

14 MILLIONS D'ENFANTS

Quelque 14 millions d'enfants souffrent des conflits qui dévastent la Syrie et une partie de l'Irak, affirme jeudi l'UNICEF, déplorant que ces violences et souffrances hypothèquent leur avenir.

«Avec le conflit en Syrie entrant dans sa cinquième année, la situation de plus de 5,6 millions d'enfants dans le pays demeure désespérée», indique l'UNICEF dans un communiqué diffusé à l'occasion des quatre ans de guerre en Syrie.

Selon l'agence des Nations unies, jusqu'à deux millions d'enfants syriens vivent dans des secteurs qui ne sont pas accessibles à une aide humanitaire, et quelque 2,6 millions d'enfants ne sont plus scolarisés.

Environ deux millions d'enfants syriens sont devenus des réfugiés au Liban, en Turquie, en Jordanie et dans d'autres pays, «ajoutés à 3,6 millions d'enfants de communautés vulnérables» dans ces pays hôtes, selon l'UNICEF.

«Pour les plus jeunes enfants, la crise (en Syrie) est tout ce qu'ils ont connue. Pour les adolescents entrant dans leurs années de formation, la violence et les souffrances n'ont pas seulement gâché leur passé, mais vont façonner leur futur», a indiqué le chef de l'UNICEF, Anthony Lake.

L'UNICEF indique encore que le conflit en Irak a poussé à la fuite 2,8 millions d'enfants.

En Irak, l'EI s'est aussi emparé de plusieurs pans de territoire au nord de Bagdad que les forces progouvernementales tentent de reconquérir.