D'un côté, à Montréal, une mère et son fils qui suivent les développements de la guerre syrienne à la télévision. De l'autre, deux filles de la même famille réfugiées au Caire, en Égypte, qui en subissent les contrecoups. Et aucune chance pour les uns et les autres de se voir avant près de... quatre ans.

«Notre famille est déchirée. C'est dur pour ma mère, c'est dur pour mes deux soeurs, c'est dur pour moi», dit Lucas Atassi, 30 ans.

L'histoire de la famille Atassi illustre une situation vivement dénoncée par Maria Mourani, députée fédérale indépendante: le gouvernement canadien n'a rien mis en place pour faciliter la réunification des familles touchées par la guerre civile en Syrie.

«Lors de la guerre au Liban, lors de la guerre au Kosovo, lors du tremblement de terre en Haïti, le Canada avait accordé des visas spéciaux temporaires pour faciliter la réunification des familles. Là, alors qu'on a une guerre terrible et une situation humanitaire critique, le ministère de l'Immigration agit comme s'il n'y avait rien», dénonce Mme Mourani.

L'écartèlement de la famille Atassi est le résultat d'une tragique succession d'événements qui était impossible à prévoir lorsque Lucas, aujourd'hui âgé de 30 ans, a été accepté en 2011 par le gouvernement du Québec comme travailleur qualifié.

Voyant son fils partir dans un autre pays, la mère de Lucas a demandé un visa de touriste et a mis le cap sur Montréal pour l'aider à s'installer. Mais au moment de retourner en Syrie, catastrophe: son pays, où elle avait laissé ses deux filles, sombrait dans la guerre civile.

La mère de Lucas a fait une demande d'asile au Canada, qui a été acceptée. Mais pendant ce temps, à Damas, les deux soeurs de Lucas, Maïssan et Maya, vivaient leur baptême de la guerre.

Après avoir fui au Liban, elles ont finalement trouvé refuge au Caire, en Égypte. Aujourd'hui, incapables de travailler légalement, victimes de harcèlement en raison de leur statut précaire, les femmes de 34 et 25 ans vivotent en attendant de pouvoir remettre leur vie sur les rails.

Lucas et sa mère ont remué ciel et terre pour tenter de faire venir Maïssan et Maya au Canada. En empruntant 11 000$ à un oncle et avec le soutien de l'organisation Action réfugiés Montréal, Lucas Atassi a réussi à déposer une demande de parrainage privé en bonne et due forme. La bonne nouvelle: le gouvernement fédéral a prévu 1100 places pour ce type de réfugiés. La mauvaise: au bureau du Caire, où le dossier des Atassi se trouve maintenant, le délai de traitement est de 42 mois.

Ottawa refuse de publier les chiffres

Ottawa parviendra-t-il à respecter sa promesse d'accueillir 1300 Syriens en provenance de l'étranger d'ici la fin de 2014? Bien malin qui saurait le dire. Le gouvernement Harper refuse de dévoiler les progrès faits jusqu'à maintenant à ce chapitre, au grand dam des organismes chargés de l'accueil des immigrants.

«Nous ne comprenons pas, franchement, pourquoi le gouvernement fait preuve d'autant d'opacité sur cette question», dit Chris Friesen, président de l'Alliance canadienne du secteur de l'établissement des immigrants (ACSEI).

Parrainage

Ottawa a promis l'an dernier d'accueillir 1300 réfugiés syriens en provenance de l'étranger d'ici la fin de 2014. De ce nombre, le gouvernement s'engageait à soutenir financièrement 200 réfugiés. Les 1100 autres devaient être parrainés par des particuliers ou des organismes, qui s'engageaient à aider les réfugiés à se loger et se nourrir et à les soutenir financièrement pendant au moins un an.

Le gouvernement fédéral clame sur toutes les tribunes que «1150 réfugiés syriens se sont vus offrir la protection par le Canada». Or, on ne sait pas au juste ce qu'englobe ce chiffre.

À défaut d'avoir des réponses, Chris Friesen, de l'ACSEI, a contacté les divers organismes venant en aide aux immigrants et a tenté de savoir combien chacun avait accueilli de réfugiés parrainés.

Selon ses compilations, le fédéral n'aurait pas à rougir de ses efforts de parrainage et pourrait même avoir déjà dépassé sa cible de 200 réfugiés. La famille Dandachi, qui s'est adressée aux médias hier, fait partie de cette catégorie de réfugiés parrainés par le gouvernement.

Les choses semblent beaucoup plus difficiles du côté des immigrants parrainés par les particuliers et les organismes, où la cible de 1100 réfugiés serait très loin d'être atteinte.

«Dans ce cas, il faut trouver les parrains, lever les fonds, soumettre les formulaires...», dit Chris Friesen.

Un effort supplémentaire demandé

Alors qu'Ottawa semble déjà peiner à remplir sa promesse d'accueillir 1300 réfugiés syriens d'ici la fin de l'année, il est déjà pressé d'en faire plus.

En février, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a lancé un appel d'urgence à la communauté internationale l'invitant à accueillir 100 000 réfugiés syriens supplémentaires.

Jusqu'à l'an dernier, l'ONU nourrissait encore l'espoir de ramener un jour les réfugiés syriens chez eux. Elle hésitait donc à favoriser leur réinstallation dans des pays éloignés. Cette position a changé avec l'enlisement de la guerre civile en Syrie, qui semble maintenant peu susceptible de s'apaiser.

Pour le Canada, qui accueille traditionnellement 10% des réfugiés du globe contraints de se réinstaller à l'étranger, cet appel signifierait l'accueil de 10 000 Syriens supplémentaires pour les deux prochaines années.

Le haut commissaire lui-même, António Gutteres, s'est rendu à Ottawa à la fin du mois de mai pour inciter le Canada à en faire davantage.

«Nous allons faire plus, a promis le ministre Chris Alexander. Nous allons répondre à l'appel du haut commissaire Gutteres.»

Les organismes qui accueillent les réfugiés (qu'il ne faut pas confondre avec ceux qui s'engagent financièrement à en parrainer) ont dit avoir la capacité nécessaire pour accueillir 10 000 réfugiés et ont pressé le gouvernement d'agir.