La représentativité de l'opposition syrienne soutenue par l'Occident est remise en question après la décision des principaux groupes rebelles présents sur le terrain de rompre avec elle pour former une alliance incluant la branche locale d'Al-Qaïda.

La nouvelle entente est composée de groupes qui opéraient jusqu'ici sous le commandement du Conseil militaire syrien du général Sélim Idriss, considéré par les pays occidentaux comme l'interlocuteur de référence, ainsi que des djihadistes du Front al-Nosra, inscrit sur la liste des organisations terroristes par l'ONU.

L'annonce a été faite mardi soir par 13 factions rebelles, dont la puissante organisation salafiste Ahrar al-Cham, Liwa al-Tawhid, proche des Frères musulmans, et Liwa al-Islam, proche de l'Arabie saoudite.

Dans un communiqué, elles affirment que l'opposition regroupée au sein de la Coalition nationale «ne nous représente pas et nous ne la reconnaissons pas» et appelle à faire de la loi islamique «la seule source de législation».

Cette décision vide le courant central de la rébellion de ses principaux acteurs, estime Charles Lister, un analyste au IHS Jane's Terrorism and Insurgency Centre.

«Ceci est extrêmement dommageable» pour l'Armée syrienne libre (ASL, jusqu'à présent principale coalition de groupes armés liée à l'opposition en exil), car les 13 groupes «représentent une portion significative de l'opposition armée et regroupent ses meilleurs combattants», a-t-il expliqué à l'AFP.

Les forces ayant rejoint ce nouveau regroupement sont surtout présentes dans le Nord et dans les régions autour de Damas, deux bastions de la rébellion.

«Cela va avoir un impact considérable sur la capacité (de l'ASL) à se considérer comme le noyau de l'opposition», note M. Lister.

Expert de ce pays, Aron Lund partage cette analyse sur son blogue Syria Comment. «Il s'agit d'une grande partie du "courant principal" (de la rébellion) contre sa prétendue direction et l'alignement de ces factions à des forces plus radicales».

Le coordinateur politique et de communication de l'état-major de l'ASL, Louaï Moqdad, a fait assumer à la communauté internationale la responsabilité de cette nouvelle donne, annonçant qu'il s'agit d'un geste de «désespoir» des rebelles déçus par le manque d'armement de l'étranger, mais aussi par l'opposition jugée déconnectée de la réalité.

«Ce communiqué est une sonnette d'alarme, un avertissement à la communauté internationale», a-t-il dit ajoutant que le général Idriss allait se rendre «immédiatement» dans les territoires sous contrôle rebelle en Syrie afin «de resserrer les rangs».

La nouvelle alliance va gêner les Occidentaux

Thomas Pierret, spécialiste de l'islam en Syrie, relève que des groupes de l'ASL avaient, l'an dernier, refusé de s'associer au Front al-Nosra. Mais pour ce maître de conférence à l'Université d'Édimbourg, l'accord russo-américain sur les armes chimiques qui a bloqué d'éventuelles frappes américaines a modifié les calculs de certains groupes.

«Après la crise des armes chimiques, des insurgés ont perdu l'espoir de tirer quelques avantages de l'Occident», a-t-il dit.

«Le deal russo-américain et le manque de volonté de la communauté internationale pour faire tomber le régime sont les deux facteurs derrière» la décision des rebelles islamistes, selon M. Moqdad.

Le langage utilisé dans l'annonce et l'inclusion d'Al-Nosra dans l'alliance risquent d'accroître les craintes de l'Occident d'une radicalisation de la rébellion.

Par ailleurs, les analystes notent l'absence notable de l'autre groupe djihadiste, l'État islamique d'Irak et du Levant (EIIL), une émanation de l'organisation d'Al-Qaïda en Irak qui a étendu son influence en Syrie.

Pour M. Lund, cette absence s'explique par la volonté de ces groupes «d'isoler» l'EIIL en raison de ses accrochages répétés avec d'autres groupes modérés ou islamistes.

En tout cas, cette alliance va gêner grandement la volonté affichée des pays occidentaux de fournir des armes aux rebelles par l'intermédiaire du général Idriss.

Et leur décision de rompre avec l'opposition va rendre très difficile une solution négociée au conflit, car la Coalition ne représente plus désormais la majorité de l'opposition.

«C'est vrai que la Coalition ne progressait pas vraiment, mais son manque d'influence va être encore plus criant. Et le problème de sa représentation va devenir un problème crucial», assure Yezid Sayigh, chercheur au Carnegie Middle East Centre, basé à Beyrouth.