Le président Barack Obama aura la lourde tâche lundi de retourner un Congrès et une opinion publique sceptiques face au recours à la force en Syrie, où Bachar al-Assad a assuré n'être pour rien dans l'attaque chimique du 21 août.

Vient un moment durant le second mandat de tout président américain où il devient un lame duck, un canard boiteux dont le Congrès, les médias et le public tiennent à peine compte. Pour Barack Obama, ce moment pourrait survenir avant même le premier anniversaire de sa réélection éclatante, une situation qui n'a peut-être pas de précédent.

«Si le président Obama n'obtient pas l'appui du Congrès pour des frappes en Syrie, la plupart des gens diront probablement que cette défaite marque le début de son statut de canard boiteux», estime Larry Sabato, directeur du Centre d'études politiques de l'Université de Virginie.

«L'influence du président, tant en matière de politique intérieure qu'internationale, serait gravement affaiblie par un non du Congrès», renchérit Ross Baker, politologue à l'Université Rutgers, au New Jersey.

À en juger par son emploi du temps au cours des 48 prochaines heures, Barack Obama comprend parfaitement l'énormité du pari qu'il a engagé, le 31 août, en annonçant sa décision de consulter le Congrès avant de donner le feu vert à une intervention en Syrie. Il accordera aujourd'hui à la Maison-Blanche des entrevues à cinq chaînes américaines qui seront diffusées dans les téléjournaux de début de soirée. Et, mardi soir, il s'adressera solennellement à la nation du bureau Ovale.

«Nous saurons mardi si l'éloquence légendaire du président peut changer l'opinion d'un nombre suffisant de personnes au sein du public et du Congrès», ajoute le professeur Baker.

Les prévisions des experts

Dès le lendemain de l'adresse présidentielle, le Sénat pourrait tenir un vote sur une résolution autorisant l'utilisation de la force contre le régime de Bachar al-Assad en représailles de l'utilisation d'armes chimiques. Les sénateurs ouvriront aujourd'hui le débat sur cette question. La plupart des experts et commentateurs s'attendent à ce qu'une majorité d'entre eux votent «oui».

À la Chambre des représentants, c'est une tout autre histoire. Selon le décompte de certains médias, une majorité de ses élus est aujourd'hui encline ou prête à voter «non» à la résolution voulue par le président. Ayant à solliciter un mandat tous les deux ans, ils sont beaucoup plus sensibles à l'opinion des électeurs, qui sont largement opposés à une intervention en Syrie selon les plus récents sondages.

Au sein de la chambre basse, l'opposition à des frappes en Syrie n'est pas l'apanage des élus républicains issus du Tea Party, qui incarnent un isolationnisme croissant et une hostilité constante envers les politiques défendues par le président. Cette opposition émane également des élus démocrates les plus progressistes.

«Ils n'ont aucune preuve tangible que l'attaque [chimique] a été ordonnée par Assad», a déclaré le représentant démocrate de Floride Alan Grayson, l'un des élus les plus sceptiques, lors d'une interview au Washington Post.

Le débat à la Chambre des représentants sur la Syrie pourrait s'étaler sur deux semaines avant la tenue d'un vote. D'ici là, Barack Obama ne sera pas le seul à exercer des pressions sur les élus et à s'adresser au public. L'ancienne secrétaire d'État Hillary Clinton doit défendre le bien-fondé d'une intervention en Syrie aujourd'hui à la Maison-Blanche et mardi après-midi à l'occasion d'un discours à Philadelphie.

L'influent lobby pro-israélien AIPAC doit également déployer cette semaine quelque 200 représentants sur Capitol Hill. Ils feront notamment valoir aux élus que l'inaction face à la Syrie pourrait encourager l'Iran à poursuivre sa marche vers l'arme nucléaire.

Une véritable victoire?

En fin de compte, Barack Obama finira peut-être par gagner son pari. Mais il pourrait tout autant avoir à se repentir d'une telle victoire.

«Si le président gagne et attaque la Syrie, il fera face à une nouvelle série de questions», soutient Larry Sabato, de l'Université de Virginie. «Est-ce que l'intervention fonctionne? A-t-elle des conséquences défavorables, telle une attaque terroriste ou autre chose?»

Mais si le président essuie un revers au Congrès, osera-t-il quand même ordonner des frappes en Syrie, comme il prétend en avoir déjà l'autorité? Allan Lichtman, professeur d'histoire à l'American University, à Washington, en doute.

«Il est essentiel que le président obtienne l'autorisation du Congrès», estime ce spécialiste de l'histoire de la présidence américaine. «Harry Truman n'avait pas demandé l'autorisation du Congrès avant la guerre de Corée. Quand cette guerre a mal tourné, c'est devenu la guerre de M. Truman et il était à découvert. Cela a contribué à son retrait de l'élection présidentielle de 1952 et à la victoire républicaine après 20 ans de présidents démocrates. Obama a besoin de la protection d'un vote du Congrès étant donné le scepticisme du public à l'égard de toute intervention en Syrie.»